Cinq questions à Jalil Bennani autour de son dernier ouvrage “Des djinns à la psychanalyse”

Cinq questions à Jalil Bennani autour de son dernier ouvrage “Des djinns à la psychanalyse”

jeudi, 19 mai, 2022 à 15:30

Propos recueillis par Sofia El Aouni

Rabat – Pour son dernier ouvrage “Des djinns à la psychanalyse: Nouvelle approche des pratiques traditionnelles et contemporaines”, l’écrivain et psychanalyste Jalil Bennani répond aux questions de la MAP sur la teneur de ce travail qui met en relief l’impact des croyances traditionnelles sur l’individu et l’apport de la médecine arabe et évoque la pensée psychiatrique coloniale et postcoloniale.

1. Pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?

Cet ouvrage est le fruit d’un long cheminement. Ayant été formé en France, j’ai progressivement porté mon intérêt vers l’impact de la culture et de la langue sur les théories, les conceptualisations, les classifications.

Le but de ma recherche est donc la nécessaire prise en considération des différentes pratiques qui caractérisent le parcours des patients et leur parole. Ils tiennent des discours associant les plaintes et les souffrances aux croyances magico-religieuses et au discours de la science.

Ces croyances ne sont pas toujours exprimées en tant que telles mais peuvent ressortir à un moment ou un autre dans leur discours, soit d’une manière consciente et ouvertement verbalisée, soit d’une manière inconsciente et surgissant de façon tout à fait imprévue.

C’est tout l’intérêt de la psychanalyse qui permet de lever le refoulement et de faire prendre conscience au patient qu’il n’a pas renoncé aux traditions enfouies au plus profond de lui-même. L’approche psychanalytique permet de révéler les traces et les effets des traditions.
2. Pourquoi avoir choisi ce titre “Des djinns à la psychanalyse”, deux termes qui se contredisent, l’un “cosmique” et l’autre scientifique ?

Il ne s’agit pas pour moi de les mettre en contradiction mais en articulation. Tout au long de l’évolution des soins, on a assisté à des pratiques traditionnelles, magiques, maraboutiques et religieuses puis à des rationalisations scientifiques, des prescriptions médicamenteuses, des thérapies par la parole.

On peut ici citer la médecine arabe qui a fait progresser le raisonnement scientifique, l’observation et la préservation de la santé. Elle a été présente au Maroc dans les premières institutions de soins des XIIe et XIVe siècles qui étaient les maristans et a combattu les pratiques des magiciens et des charlatans.

Puis il y a eu la psychiatrie européenne au XVIIIe siècle et enfin la psychanalyse au XXe. Toute cette évolution, très brièvement esquissée, montre que la science est en perpétuel mouvement.

3. Quid du rôle des sanctuaires, qui ont longtemps été sollicités pour guérir les personnes atteintes de troubles psychiques ?

Les sanctuaires sont à la fois des lieux de recueillement, de loisirs et de soins. On va voir le “Siyed” pour séjourner dans son lieu, recevoir sa baraka et trouver des remèdes aux troubles et problèmes les plus divers, que ce soit des crises nerveuses, des douleurs, des impuissances sexuelles, des stérilités…

L’adhésion au pouvoir du saint agit sur ceux qui s’adressent à lui pour soulager leurs souffrances, trouver une solution à leurs problèmes et même guérir leurs maladies d’une manière éphémère ou durable, sans pour autant pouvoir répondre à toutes sortes de souffrances.

Mais le mot “guérir” n’a pas ici la même signification qu’en médecine. Il peut n’être qu’un état passager, ou évoluer vers un autre état dans lequel l’individu s’installe dans un nouvel équilibre.

J’ajoute qu’il existe dans certains sanctuaires des pratiques de transes destinées à accompagner celui qui est dit possédé par des forces surnaturelles pour chasser l’esprit qui l’habite.

4. Est-ce qu’il faudrait adopter une nouvelle méthode scientifique alliant croyances traditionnelles et psychothérapie ?

Les croyances portent sur les pratiques populaires mais elles ne sont pas exclues dans le rapport à la médecine, la psychothérapie ou la psychanalyse.

La croyance existe au sein de la science, vis-à-vis du médecin, du psychiatre, psychologue ou psychanalyste. La relation qui lie le praticien et le patient est définie par ce qu’on appelle “le transfert”. Ce transfert se fait dans toutes les situations où il y a une relation d’autorité ; il s’exerce par exemple entre un maître et son élève.

Mais ce n’est qu’en psychanalyse qu’il est théorisé et utilisé pour faire avancer les cures en cheminant dans les processus inconscients refoulés. On analyse ce que le patient projette sur son thérapeute, ce qu’il revit, ce qu’il ressent. C’est dire qu’il s’agit de passer de situations irrationnelles à des interprétations rationnelles. Et cela s’observe dans le passage du patient d’un lieu traditionnel à un lieu porteur de la démarche scientifique.

Me concernant, j’assiste à des déplacements de croyances, celles qui pouvaient être attribuées à un guérisseur ou un saint vers le thérapeute que je suis, investi du savoir scientifique. C’est ce passage, ce mouvement, cette articulation qui peuvent fonder une nouvelle approche des deux pratiques.

5. A l’heure actuelle, comment évaluez-vous la prise en charge des troubles psychiques au Maroc?

La prise en charge des troubles psychiques au Maroc est dominée par les prescriptions médicamenteuses dictées par les classifications des différentes entités pathologiques. Certaines d’entre elles s’avèrent indispensables; c’est le cas de la schizophrénie par exemple, mais ce n’est pas toujours le cas.

Ainsi, dans les angoisses, les phobies, les obsessions, les dépressions, elles sont insuffisantes et parfois même sans effet. Il convient dans ces cas d’orienter les patients vers une psychothérapie ou une psychanalyse, en les associant ou non aux médicaments.

Cependant, dans notre pays, la prise en considération des pratiques traditionnelles demeure malheureusement faible voire absente.

Les praticiens n’ignorent pas ces pratiques, mais celles-ci font rarement l’objet de conceptualisations et de réflexions théoriques par les praticiens de la santé mentale. On les retrouve par contre dans les études anthropologiques qui peuvent enrichir les travaux des psychiatres et psychanalystes.

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