La relation entre Eugène Delacroix et les écrivains analysée lors d’un colloque international à Rabat

La relation entre Eugène Delacroix et les écrivains analysée lors d’un colloque international à Rabat

vendredi, 13 septembre, 2019 à 23:08

Rabat, 13/09/2019 (MAP) – Un parterre d’universitaires, d’hommes de lettres, d’historiens et de critiques littéraires se sont penchés, le temps de la quatrième séance du colloque international “La palette marocaine d’Eugène Delacroix de 1832 à 1863” qui se tient à Rabat sous la présidence de Dominique De Font-Reaulx, conservateur général au Musée du Louvre, sur les relations entre l’artiste-peintre Eugène Delacroix et les écrivains.

Intervenant à cette occasion, Axel Hemery, directeur du musée des Augustins à Toulouse, a relevé dans sa communication intitulée: “Benjamin-Constant peintre et le Maroc, sur les traces de Delacroix ou à la recherche de soi ?”, que Jean-Joseph Constant, dit Benjamin-Constant (1845-1902) s’est rendu trois fois au Maroc et y a puisé l’essentiel de son inspiration durant les dix années où il fut avant tout un peintre orientaliste.

M. Hemery a avancé que malgré la grande admiration que Benjamin-Costant porte à Delacroix, son approche est de nature différente. En effet, tout comme le maître, “il élabore des croquis avant de peindre ses tableaux, mais il lui arrive également de dessiner sur place”. Il y a nonobstant des rapprochements évidents entre Eugène Delacroix et Benjamin Constant et au delà de leurs méthodes de dessin, c’est la qualité de l’écriture présente dans leurs carnets de voyages qui en fait preuve.

En évoquant la ville de Tanger, Benjamin Constant disait: “Tanger n’est pas une ville, c’est un musée”. Selon le directeur de musée Toulousain, Delacroix aurait pu écrire la même chose, ce qui renvoie à leur même admiration pour la ville du détroit.

M. Hemery a fait également observer l’intérêt de Benjamin-Constant à la vie Tangéroise, aux étals d’artisans et aux ruelles, évoquant des souvenirs de voyage au Maroc, de longs séjours à la ville du Détroit et d’un voyage vers Marrakech, gravés par ses soins et qui lui témoignent d’une belle sensibilité et de qualités d’écriture remarquables.

Pour illustrer ses propos, M. Hemery a présenté certaines œuvres orientalistes de Benjamin Constant, d’inspiration marocaine, tangéroise et orientale, telles que: l’Orient fantasmé, le flamant rose ou encore la favorite de l’émir.

Pour sa part, Abderrahmane Tenkoul, doyen de la Faculté des sciences humaines et sociales à l’université Euro-Méditerranéenne de Fès, abordant Eugène Delacroix au regard de la critique, a indiqué que l’artiste-peintre “nous a légué une œuvre monumentale qui ne cesse d’être revisitée et repensée, car jamais cernée dans ses multiples énigmes et dimensions complexes. Ses œuvres ne cessent de fasciner et d’intriguer malgré les multiples rebondissements que l’art a connu du 19eme siècle à aujourd’hui”, a-t-il poursuivi, avant de trancher que “Delacroix a rendu célèbre la beauté de notre pays”.

L’universitaire a affirmé que les nombreux travaux qui sont consacrés au peintre témoignent d’une volonté renouvelée de comprendre les subtilités de son art tel qu’il s’illustre dans sa production écrite, sa peinture, ses gravures ou encore ses lithographies.

Les critiques de Delacroix sont assez nombreuses et se penchent sur plusieurs aspects de la vie du peintre.

M. Tenkoul a par ailleurs tenu à saluer l’ouvrage “Lettre à Delacroix” de l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, qui a permis d’inscrire l’œuvre de ce génie français dans la pensée marocaine d’aujourd’hui.

Dans son livre, Tahar Ben Jelloun écrit: “Je vous imagine en ce début d’année 1832, jeune homme élégant et réservé, quitter votre atelier de la rue des Fossés-Saint-Germain, laissant derrière vous une lumière retenue, empêchée par un ciel gris et bas d’éclater, une lumière brève et faible à laquelle les Parisiens finissent par s’habituer. Vous sortez de ce quartier et vous vous trouvez, quelques jours après, inondé par une lumière si vive, si pleine et même brutale que vous subissez un choc. Vous êtes à la fois en Méditerranée et face à l’océan Atlantique “.

Dans un autre contexte et dans son intervention “très Baudelairienne” relative à “Une possible illustration des Correspondances : Delacroix et le Maroc”, Pierre Brunel, professeur émérite de littérature comparée à la Sorbonne et spécialiste de Claudel, Verlaine, Rimbaud et de Baudelaire, s’est principalement penché sur la relation entre Baudelaire et Delacroix, ainsi que des tableaux inspirés à Delacroix par son séjour au Maroc et commentés à leur tour par Baudelaire âgé alors de 25 ans (en particulier dans Le Salon de 1845 et plus largement sur les correspondances entre peinture et littérature).

Selon le spécialiste, Baudelaire tout comme Delacroix, voient la nature comme “une architecture de couleur”, notamment dans la région de Tanger. Cette conception étant multiple et profonde, peut à la fois représenter le contexte rural, mais aussi la ville ou au cœur même des maisons généralement très vertes et naturelles. La composition de la nature se voit être en correspondance avec l’architecture.

Cela renvoie à Delacroix qui a inspiré Baudelaire, notamment dans son rapport avec les “correspondances” qui ne sont que le rapport synthétique des choses. Baudelaire en a même fait un poème parmi d’autres, a ajouté M. Brunel.

Approché par la MAP, M. Brunel a déclaré que “le Maroc a été pour Delacroix une révélation extraordinaire et une source de richesse infinie. Je suis très frappé par cette façon à la fois personnelle et passionnée avec laquelle il a découvert le Maroc, il était en fonction officielle au Maroc, mais c’est ce qui a occupé le moins de place dans son expérience”

“Les paysages, le ciel, la nature, le côté pittoresque… D’ailleurs, dans le tableau représentant le sultan, par exemple, le ciel a une importance considérable, sans parler du cheval !” a t-il ajouté.

De son côté, Daniel Bergez, écrivain d’art, critique littéraire et artiste peintre, a souligné dans sa communication: “Du visible au lisible : l’orientalisme de Delacroix dans les écrits de Baudelaire”, que “Baudelaire a très certainement été le meilleur critique contemporain de Delacroix, et en même temps un ami très proche et admiratif du peintre.”

Pour ce critique littéraire, deux “exotismes” se rencontrent ainsi: celui de Delacroix, qui ne cessera de nourrir ses œuvres dans des représentations de scènes orientales ou d’animaux sauvages; et celui de Baudelaire, qui sous le signe de l’orient, en décrit la femme orientale de Delacroix.

L’un poétique et largement réinventé, et l’autre puisé visuellement et sensuellement aux sources du voyage au Maroc.

“Cette confluence est également le lieu d’intersection du voir et du dire, associant littérature et peinture en un siècle où celle-ci fascine les écrivains. La réflexion de Baudelaire sur Delacroix opère une “transposition d’art” littéraire, à l’enseigne d’un orientalisme pictural puisé dans l’expérience marocaine” a-t-il expliqué.

Selon Pierre Wat, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Panthéon-Sorbonne et critique d’art, dans son allocution sur « Baudelaire face à l’Orient de Delacroix », la place que Charles Baudelaire accorde aux travaux d’Eugène Delacroix et sa critique de son art.

Le professeur a souligné que “Delacroix a mis longtemps à accepter et à apprécier la présence de Baudelaire. Il ne partageait en effet pas cette lecture maladive de son œuvre”. Delacroix notait dans ses mémoires des commentaires pas toujours élogieux de la critique de Baudelaire.

M. Wat a expliqué ce désaccord qui, loin d’être anecdotique, témoigne d’une divergence réelle concernant le sens du mot « Orient ». Entre celui qui l’a vu – le peintre – et celui qui se contenta de le rêver, il demeure un écart que nous tenterons d’étudier afin de montrer là que, au-delà des mots, ce sont deux lectures du romantisme qui se rencontrent sans jamais vraiment se concilier.

Ce colloque donne une occasion privilégiée d’échanges et de réflexion pour mieux comprendre l’artiste et son temps. Il propose dans une démarche pluridisciplinaire de faire découvrir au public l’œuvre et la personnalité d’Eugène Delacroix à un moment crucial de l’Histoire du Maroc, dans le jeu complexe des représentations. Il vise également à souligner l’extraordinaire apport d’Eugène Delacroix à la création artistique et littéraire

Lire aussi

Maroc-Espagne: un forum académique jette les bases d’un partenariat tourné vers la recherche et l’innovation

mercredi, 17 avril, 2024 à 21:56

Les présidents des universités marocains et espagnols se sont réunis, mercredi à Madrid, dans le cadre du 1er Forum académique et scientifique entre les deux royaumes, afin de jeter les bases d’un nouveau partenariat tourné vers la recherche et l’innovation.

Célébration du 77è anniversaire de la visite historique de feu SM Mohammed V à Tanger

mercredi, 17 avril, 2024 à 19:58

Le Haut-commissariat aux anciens résistants et anciens membres de l’armée de libération a organisé, mercredi à Tanger, une cérémonie en commémoration du 77è anniversaire de la visite historique de feu SM Mohammed V à cette ville, le 9 avril 1947.

Service militaire 2024 : le 29 avril, dernier délai pour remplir le formulaire de recensement

mercredi, 17 avril, 2024 à 19:19

Dans le cadre de l’opération de recensement relative au service militaire au titre de l’année 2024, le ministre de l’Intérieur rappelle que les formulaires de recensement sont à remplir au plus tard le 29 avril courant.