Le rôle du critique cinématographique: Entretien avec le Libanais Khalil Hanoun

Le rôle du critique cinématographique: Entretien avec le Libanais Khalil Hanoun

mardi, 14 février, 2023 à 18:48

Propos recueillis par Abdellatif Abilkassem

 

Rabat  – Khalil Hanoun, journaliste et critique de cinéma libanais, analyse dans cet entretien accordé à la MAP la mission et les rôles du critique cinématographique ainsi que les perceptions et critiques dont il fait l’objet, tout en revenant sur divers sujets en relation avec le 7ème art, notamment la question des tabous.

 

1- Quelles sont à votre avis les principales compétences dont doit faire preuve un critique de cinéma ?

 

A l’évidence, avoir une vaste culture est essentiel pour tout critique de cinéma. Celui-ci doit avoir une bonne connaissance de la littérature, disposer d’une culture cinématographique et rester au courant de l’actualité du 7ème art, en plus de connaître les parcours des réalisateurs et les contextes de production des films pour donner à sa lecture une densité et une profondeur proportionnelles à l’histoire de cet art séculaire.

Le critique de cinéma doit aussi être libre d’exprimer son opinion, sans censure ni autocensure. Aussi, à l’ère de la digitalisation et des nouvelles technologies, les critiques cinématographiques doivent s’inscrire dans l’air du temps et investir les réseaux sociaux. Il n’y a pas si longtemps, la critique de cinéma était destinée aux journaux et aux revues en papier. Aujourd’hui, les temps ont changé et le critique est amené à s’adresser au public via les nouveaux médias aussi.

 

2- La formation académique est-elle une condition nécessaire pour s’adonner à la critique cinématographique ?

 

La formation académique est sans doute importante. Sauf que la critique cinématographique, en tant que discipline à part entière, n’est pas toujours disponible, surtout dans le monde arabe. En effet, nombre de personnes se sont lancées dans ce domaine après avoir poursuivi des études de cinéma. Il est vrai qu’il existe des critiques qui peuvent discourir longuement sur l’aspect technique des films, d’autres qui font une lecture minutieuse de leur contenu, leur genre, les thématiques abordées… Il n’empêche que l’on ne peut ignorer les nombreuses évolutions qui ont eu lieu dans les domaines du cinéma et de la critique, notamment sur le plan de la technique de projection, c’est-à-dire le passage du grand écran aux plateformes de streaming. Citons ici les projections de films en Imax: ceux qui ont pu regarder le film “Dunkirk” de Christopher Nolan, tourné en mode Imax, dans un cinéma utilisant cette technologie, l’ont trouvé impressionnant, tandis que ceux qui l’ont regardé sur les écrans traditionnels ont été beaucoup moins impressionnés. La critique de cinéma doit prendre en considération cette nouvelle donne. En plus, regarder un film sur un petit écran ne procure pas les mêmes sensations, pour un critique cinématographique, que de le regarder dans une salle obscure.

 

3- D’aucuns considèrent que beaucoup de “reviews” et d’articles de critique de films sont plus un recueil des impressions de leurs auteurs que de vraies analyses basées sur une connaissance des règles de la critique de cinéma. Qu’en pensez-vous ?

 

Ce constat est vrai, et il s’applique au monde entier, pas seulement au monde arabe. A Hollywood par exemple, le nombre des critiques de renom diminue comme une peau de chagrin d’une année à l’autre. Si l’on ajoute à cela l’émergence d’un “marché de la critique”, l’on réalisera que la plupart des écrits présentés comme des critiques de films ne sont, en réalité, que de vagues impressions. C’est ce genre d’écrits qui est en train de gagner du terrain dans le monde entier, au détriment de la critique professionnelle. Il faut dire aussi que les réseaux sociaux ont contribué à “vulgariser” la chose: tout le monde s’y met et s’autoproclame critique de cinéma. C’est même devenu un moyen de faire de la publicité à peine masquée pour les films.

 

4- Souvent, le critique de cinéma emploie un langage spécifique dans ses articles. Cela veut-il dire que la critique est un genre élitiste ? Et quel rôle le critique cinématographique peut-il jouer pour rendre le 7ème art plus attrayant pour le public ?

 

A mon avis, la critique ne doit jamais être élitiste. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu’elle doit être superficielle. Les ouvrages de recherche et les livres spécialisés peuvent être élitistes, pas la critique. Un bon critique de cinéma doit puiser dans le langage usuel des gens. En ce qui concerne la deuxième question, je pense que le critique cinématographique doit avoir une bonne connaissance des goûts et des centres d’intérêt du public, non pas pour le “caresser dans le sens du poil”, mais plutôt pour savoir comment s’adresser à lui et l’amener à regarder un film, dans une salle de cinéma de préférence. Il peut par exemple évoquer une phrase ou une scène marquante pour faire du suspense et susciter la curiosité du public pour tel ou tel film. Le problème qui se pose aujourd’hui, c’est que le paysage cinématographique est dominé, hélas, par les films dits “commerciaux” où ce sont les producteurs qui mènent la danse.

 

5- Racontez-nous votre expérience dans ce domaine, vous qui avez une page Facebook suivie par des milliers de personnes…

Ma page Facebook est suivie par un public très éclectique, de différentes tranches d’âge et catégories sociales. Dans leur grande majorité, ce sont des gens qui veulent découvrir des films atypiques, nouveaux et anciens. En parlant des films anciens, il y a des œuvres du cinéma muet qui vous surprennent par leur qualité visuelle et technique exceptionnelle par rapport à leur époque. J’essaie de faire (re)découvrir ce type de films au public et je conseille toujours aux gens de ne pas rester cantonnés à une catégorie précise de films et de s’ouvrir sur de nouvelles expériences. Je suis ravi des échos positifs que je reçois sur ma page.

 

6- Parlons maintenant de “l’audace” dans le traitement des tabous dans le cinéma arabe. Croyez-vous que les réalisateurs et les acteurs ont des limites à ne pas franchir pour ne pas heurter, dans leurs œuvres, les valeurs de la société ?

 

En effet, ma définition de “l’audace” ne se limite pas au traitement des sujets considérés comme tabous dans une société donnée. Un réalisateur qui “tue” un personnage clé au début d’un film ou d’une série est “audacieux”. Quand le réalisateur américain Francis Ford Copola a opté, dans son film culte “Le Parrain”, pour un faible éclairage qui dévoile au strict minimum les lieux et les visages, il a fait preuve de beaucoup d’”audace” en allant à contre-courant de la tendance générale à Hollywood qui favorisait la lumière scintillante. C’est pour vous dire que l’audace est une notion qui ne se réduit pas aux seuls domaines de la religion et du sexe.

Pour ce qui est du cinéma arabe, je dirais que le cinéma dit indépendant a longtemps été critiqué pour, justement, son manque d’indépendance par rapport à la partie extérieure qui assure la production et qui dicte les thèmes à aborder. Une grande partie des films arabes bénéficiant d’un financement européen par exemple, se plient à ce diktat.

En général, ces films “indépendants” se caractérisent par leur audace dans le traitement des questions de la religion et du sexe. Il est temps de sortir de ce carcan. Ce n’est pas en mettant en scène un corps de femme nu qu’on sera audacieux. Notre représentation de la chose demeure superficielle et sensationnelle.

En somme, je pense que le cinéma ne doit pas se soumettre au bon vouloir du public, mais il ne doit pas, non plus, s’en ficher.

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