Covid19: Quatre questions à Abdellatif Komat, doyen de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales – Université Hassan II de Casablanca

Covid19: Quatre questions à Abdellatif Komat, doyen de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales – Université Hassan II de Casablanca

lundi, 27 avril, 2020 à 14:31

-Propos recueillis par Karima EL OTMANI-

Casablanca – Le doyen de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales – Université Hassan II de Casablanca, Abdellatif Komat, décrypte, dans un entretien à la MAP, l’impact de la pandémie covid-19 sur l’économie marocaine et propose certaines pistes de réflexion sur la façon de sauvegarder l’économie et les entreprises.

1- Quel regard portez-vous sur les mesures prises par le gouvernement face à la pandémie?

Le Maroc, comme la quasi-totalité des pays du monde vit depuis plusieurs semaines les péripéties d’une profonde crise qui dans son essence est sanitaire, mais dans ses ramifications est également sociale et économique:

– Sur un premier plan, la préoccupation majeure était sanitaire. Une efficacité exemplaire a été constatée dans ce sens. Le système hospitalier a su développer une réactivité et même une proactivité ainsi qu’une synergie entre ses différentes composantes (Hôpitaux publics, hôpitaux militaires, secteur privé).

– Au volet social, il fallait en effet imaginer et mettre en place un système de filet social n’oubliant aucune franche de la population touchée par les effets de la crise. Sur ce plan également, l’effort était considérable surtout pour le traitement de cas non recensés, ni dans le cadre de la CNSS ni dans celui du RAMED. Une opération qui au-delà de ses effets immédiats serait un prélude au projet lancé par Sa Majesté Le Roi Mohammed VI consistant à mettre en place un registre social unique comme réponse de l’État à la problématique de ciblage des ménages à faible revenu qui doivent bénéficier des programmes sociaux publics.

– Sur le plan économique, un comité de veille économique (CVE) a vite été mis en place .Le CVE a pris des initiatives à la fois en accordant une rémunération forfaitaire aux salariés des entreprises en difficulté, mais également en mettant en place des dispositions fiscales et financières pour alléger les souffrances d’une grande partie du tissu économique de notre pays.

Ces mesures, même si elles ont permis d’atténuer l’hémorragie, ne sauraient être suffisantes pour affronter les séquelles de cette crise qui apparemment ne serait pas que conjoncturelle, mais impacterait les structures des économies quel que soit leur niveau de développement.

En effet, au-delà des mesures à prendre sur le court terme pour préparer un cadre de redémarrage avec le minimum de dégâts, le contexte pousse et même oblige à la réflexion à un repositionnement stratégique, aussi bien au niveau de la dynamique sectorielle interne, qu’au niveau des relations économiques à l’international.

2- Quels sont les principaux enjeux économiques liés à cette pandémie ?

Le premier enjeu qui s’impose avec force est de préserver le tissu économique dont d’importants pans sont en danger. Les secteurs les plus touchés sont certes le tourisme, l’automobile et le textile. Il faudrait également recenser les milliers de TPE (Très petites entreprises) agissant dans diverses activités.

A ce sujet, l’attention ne devrait pas se braquer exclusivement sur les entreprises en extrême difficulté, mais également et peut être surtout sur celles tangentes et qui moyennant des soutiens de différentes natures pourront surmonter leurs difficultés.

Le 2ème enjeu porte sur la continuité dans la dynamique de l’investissement public. En effet, la dynamique économique dépend étroitement de celle des marchés qu’ils soient nationaux ou internationaux. Si le marché international connait des perturbations dans certains secteurs (textile, automobile, tourisme, transport international,…), il faudrait préserver au maximum possible le marché interne.

Dans ce sens, l’État est appelé à jouer un rôle crucial. Le Maroc est en effet réputé comme ayant un taux d’investissement public par rapport au PIB parmi les plus élevés au monde (autour de 32%). Ces marchés publics constituent des opportunités d’affaires et donc de création d’emplois pour des milliers d’entreprises qui pourraient se tarir si des restrictions budgétaires sévères voient le jour.

Aussi, un douloureux arbitrage est nécessaire entre le respect d’une orthodoxie financière consistant à maintenir les équilibres macroéconomiques dans des proportions conventionnelles et un éventuel dépassement manifesté par plus de recours au marché financier international. A notre sens, le Maroc dispose d’une marge de manœuvre pour cette 2ème voie qui de surcroît est fortement justifiée et même imposée par des circonstances exceptionnelles.

Le 3ème enjeu est la dynamique de financement de l’appareil productif. Au Maroc, l’écosystème de financement s’est empressé à prendre un certain nombre de mesures pour alléger les pressions que subissent les entreprises dont notamment un tarissement des activités qui ébranle les plans initiaux de leur financement.

Bank Al-Maghrib (BAM) a mis en place un nouveau dispositif de refinancement des banques notamment la possibilité d’utilisation de l’ensemble des instruments de refinancement disponibles en dirham et en devise. Elle a par ailleurs procédé à la réduction de son taux directeur de 25 points de base à 2%.

De son côté, la Caisse centrale de garantie (CCG) a mis en place depuis le 30 mars “Damane oxygène” qui couvre 95% du montant du crédit et permet ainsi aux banques de mettre en place rapidement des découverts exceptionnels pour financer le besoin en fonds de roulement des entreprises cibles.

Face à ce dispositif qualifié de pertinent, le système bancaire marocain est de son côté mobilisé. Il ‘est particulièrement attendu pour faire un effort sur les conditions de financement notamment au niveau des coûts des prêts, vu que ces derniers servent dans une large mesure à couvrir les risques et qu’ils sont presque totalement couverts par les garanties octroyés par la CCG. Aussi, les banques sont interpellées à faire le maximum d’efforts dans ce sens.

Les entreprises ont par ailleurs besoin d’être rassurées au moins sur le moyen terme. En effet, pour certains pans de l’économie on commence à douter que le retour à une pleine activité puisse être réalisé quelques jours ou même quelques semaines après la fin du confinement (tourisme, hôtellerie, export, transport aérien…). Aussi, il faudrait inscrire la relance sur le moyen terme, avec peut être un plan progressif qui prévoit des mesures de soutien au moins jusqu’à la fin de 2021.

3- Quels enseignements faut-il tirer de cette crise ?

Le Maroc a toujours été un pays ouvert sur le monde. Il l’est encore davantage ces dernières années à travers ses multitudes accords de libre-échange. En effet, le pays vise à travers ces accords l’ouverture de marchés à l’export et le drainage d’investissements étrangers. Or, cela ne devrait pas se faire de manière disproportionnée au détriment de l’appareil productif local, essentiellement industriel. Sur ce plan, un appel au réajustement a fait surface ces derniers mois. Les éléments suivants révélés par la nouvelle conjoncture confirment la nécessité de cette reconsidération.

En premier lieu, les faits récents ont montré que dans le cadre de la souveraineté nationale, tout pays doit se déployer pour s’assurer le maximum possible d’indépendance dans des secteurs qualifiés de vitaux, notamment les produits alimentaires de 1ere nécessité, les produits pharmaceutiques, les équipements médicaux …etc. Or, sur ces créneaux, le Maroc a déjà une forte présence et une expertise qui le prédisposent à renforcer sa présence aussi bien quantitativement que qualitativement ;

En second lieu, l’ingéniosité et la créativité dont ont fait preuve nos entreprises et nos ingénieurs par leur grande réactivité pour répondre aux besoins en produits parmi les plus demandés au niveau mondial ces derniers temps (masques et respirateurs). Cela nous laisse croire que nous sommes loin de l’exploration de tout notre potentiel en matière d’industrie et qu’une politique plus volontariste permettrait au Maroc de limiter sa désindustrialisation. Bien évidemment, cela passera forcement par une politique publique de sensibilisation et d’encouragement. Certes, toute politique de protectionnisme à outrance est à exclure partant des engagements internationaux de notre pays. Toutefois, rien n’empêche la mise en place de “listes blanches” qui comprendraient les activités en mesure de se développer ou de se renforcer localement quitte à ce que cela fasse partie d’un plan national d’émergence industrielle.

4- Le Maroc devra-t-il revoir son positionnement à l’international ?

Les relations économiques internationales présagent un changement inéluctable dont les protagonistes seront principalement les grands pôles économiques mondiaux (Chine, Union Européenne et USA). Des pays ouverts sur l’international comme le Maroc seraient certainement impactés par les bousculements qui pourraient voir le jour (relocalisations, protectionnisme, politiques de souverainetés nationales, flux et orientations des investissements étrangers…). Partant de cela, il est judicieux d’engager une réflexion stratégique dont ci-après quelques éléments :

– La nécessité d’une remontée des filières avec un renforcement des taux d’intégration sur les secteurs phares de l’industrie marocaines (textile, automobile, aéronautique…etc.). Cela passera certainement par le relèvement de la qualité de nos ressources humaines et par plus de valorisation de la recherche scientifique et l’innovation.

– Une consolidation des relations avec le partenaire historique en l’occurrence l’Union européenne en prenant en considération les tendances qui vont émerger de la nouvelle situation ;

– Une révision des relations avec les pays avec lesquels le principe “gagnant-gagnant” n’est pas observé ;

– Une consécration d’une relation plus profonde avec la chine, en se positionnant davantage comme un pôle d’ouverture de cette puissance économique sur l’Europe et sur l’Afrique ;

– Un renforcement des relations économiques multiformes avec l’Afrique (investissement, export, échange d’expertise, formation des cadres …etc.).

Pour conclure, l’élan de confiance dans nos instances et de fierté d’appartenir à un pays qui ose que nous constatons ces derniers temps, devrait s’étendre pour croire davantage dans le potentiel de notre économie. Le produit “made in Morocco” devrait retrouver la place qu’il mérite dans le comportement du citoyen marocain.

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