Mexique: La société civile excédée par l’inertie de la classe politique face au séisme
Par Khalid EL HARRAK
Mexico – Le gouvernement a-t-il été à la hauteur? Sa gestion des conséquences du séisme qui a frappé le pays a-t-elle été optimale ?. Ces questions et bien d’autres reviennent dans presque toutes les bouches au Mexique, après la perte de plus de 300 âmes dans le dernier tremblement de terre qui, semble-t-il, a secoué tout le monde, sauf une classe politique visiblement prise de court par cette catastrophe.
Le débat sur l’inertie de la classe politique face à la catastrophe fait rage depuis plusieurs jours dans les médias. Et sur les réseaux sociaux, la polémique ne désemplit pas, ravivant de plus belle le sentiment de défiance des Mexicains envers les institutions ainsi que la colère des familles des victimes qui réclament davantage d’actions et d’engagement de la part du gouvernement.
“Nous voulons des informations (…). Ils nous ont menti. Hier, ils voulaient me remettre un corps qui n’était pas celui de ma nièce, je l’ai déjà retrouvée au Semefo” (service de médecine légale), a déclaré une femme, lors d’une conférence de presse improvisée par des contestataires.
Ces derniers jours, le président Enrique Peña Nieto a tenté de rassurer les familles en affirmant qu’aucun immeuble ne serait démoli tant que tous les corps n’auront pas été récupérés, appelant la population à l’unité nationale et à ne pas céder à l’intox et aux fausses nouvelles qui circulent sur la toile.
Pour le coordinateur du Centre des études politiques de la faculté des sciences politiques de l’UNAM, Khemvirg Puente, les critiques qui fusent depuis plusieurs jours concernant les défaillances du gouvernement dans sa gestion de la crise sont justifiées par le mauvais comportement de certains acteurs politiques, mais le plus souvent par le déficit de confiance envers la classe politique, les institutions et les autorités en général.
L’impopularité de la classe politique et la défiance de la société civile s’expliquent par plusieurs facteurs, dont “la corruption endémique, l’absence d’évaluation indépendante des politiques publiques, l’irresponsabilité en matière de gestion des finances publiques et l’impunité et l’absence d’efficacité dans la gestion de crise qui s’est couplée au décalage par rapport à la société civile et notamment la jeunesse”, nous a expliqué le professeur de Sciences politiques à l’Université des Amériques à Puebla (Mexique), Mohamed Badine El Yattioui.
En réaction à ces critiques, le gouvernement mexicain a injecté environ 500 millions de dollars dans le Fonds d’urgence pour les catastrophes naturelles et promis 331 millions de dollars pour nourrir ce fonds en 2018, selon le ministère des Finances.
“Nous devons nous unir pour exiger que les partis politiques ne reçoivent pas de l’argent public pour financer leurs campagnes électorales”. “Cet argent doit être utilisé pour la reconstruction!”, écrit sur sa page Facebook la jeune Paoula. Devant la montée des critiques et le flot d’insultes à leur égard, les partis politiques ont tenté d’éteindre l’incendie en proposant de ne pas bénéficier du financement public pour les présidentielles de 2018.
Pour tenter d’apaiser la situation, le président du Parti institutionnel révolutionnaire (PRI, droite), Enrique Ochoa, a annoncé que sa formation renonçait à environ 12 millions d’euros de financements publics qui seront versés à la reconstruction.
Le chef du parti du président de la république s’est engagé à appuyer une initiative visant à priver de tout financement public les partis en 2018, même si cette mesure a été qualifiée de “démagogique et irresponsable” par l’ancien président de l’Institut électoral national, Luis Carlos Ugalde.
Toutefois, les annonces du gouvernement et des responsables politiques n’ont pas suffi à calmer la colère des familles des victimes et des activistes. Sur les réseaux sociaux, les partis politiques concentrent particulièrement la plupart des critiques des internautes mexicains qui expriment ouvertement leur colère à leur égard.
Comme beaucoup d’autres sinistrés, Lopez reste dubitatif face aux promesses du gouvernement :”Les Mexicains ont appris depuis longtemps à se débrouiller seuls”, commente-t-il sur sa page Facebook.
Dans la foulée, l’opinion publique ne tarit pas d’éloges sur l’infatigable solidarité de la population avec les sinistrés qui fait la fierté des Mexicains, notamment à la capitale où on distribue à manger mais aussi des outils pour aider dans les recherches.
Tant est si bien que sur les décombres du séisme s’est organisée une société civile et une foule de volontaires qui ont posé les bases de la protection civile mexicaine. “La société civile s’est rapidement organisée avec peu de moyens, à part les réseaux sociaux, sa motivation et son patriotisme”, a relevé M. El Yattioui, qui est spécialiste des politiques publiques de développement en Amérique latine, faisant observer que la lenteur de la classe politique et son déphasage avec la réalité ne fait qu’accentuer la crise de confiance entre partis politiques et citoyens.
Même son de cloche chez l’universitaire Khemvirg Puente qui a affirmé: “parce que la politique est discréditée, parce que les autorités n’ont pas donné les résultats attendus et parce que la classe politique actuelle au Mexique est associée à des scandales de corruption qui restent sans jugement ni sanctions, ce sentiment d’impunité engendre une méfiance et c’est pourquoi la société préfère aider directement les victimes”.
Le pays a salué avec émotion ses volontaires héros qui ont aidé à sauver des vies à l’instar d’un jeune homme en chaise roulante que l’on a vu déblayer à mains nues les gravats et dont la photo a engendré des milliers de commentaires sur les réseaux sociaux. “Si on pouvait avoir des hommes politiques comme toi !”, lui a lancé le commentateur d’une chaîne de radio nationale.
En clair, la secousse du 19 septembre, qui a fait près de 330 morts, est un tournant dans la vie politique du pays, en ce sens qu’elle a démontré la puissance de l’action civile face à une classe politique sclérotique, dans la mesure où elle a forcé des réactions constantes du gouvernement pour rassurer les familles des victimes ou démentir certaines informations circulant sur la Toile.
D’après le politologue mexicain M. Puente, la stratégie de communication des autorités n’a pas été efficace, les responsables politiques, notamment le chef de l’Etat, ont été très présents sur le terrain pour gérer la crise, contrairement à ce qui est passé après le séisme de 1985, mais avec moins de communication et peut-être un déficit de communication de la part des autorités.
L’opinion publique se montre surtout critique envers les partis politiques et les députés dont elle déplorait la lenteur de réaction. “La jeunesse a utilisé les réseaux sociaux pour s’organiser mais également pour dénoncer les pratiques et l’inefficacité des partis politiques, a affirmé El Yattioui, soulignant qu’ils l’ont fait avec une rare violence verbale qui démontre le mécontentement, mais également le fossé entre cette jeune génération connectée au monde et soucieuse d’efficacité et de démocratie et une vieille classe politique accrochée à ses privilèges.
Pour ce qui est de la polémique suscitée par la contribution des partis politiques au soutien des sinistrés et au financement de la reconstruction, les dirigeants politiques soulèvent la question des instructions de l’autorité électorale, mais le politologue mexicain a souligné qu’il existe des mécanismes juridiques et viables pour régler cette question, et qu’il suffit juste que les partis politiques soient disposés à réserver une partie de leur budget. “C’est légal et ne nécessite pas une réforme de la loi, mais un accord politique entre les partis et l’autorité électorale”, a-t-il dit.
Autant dire que si le pays revient peu à peu à la normale, beaucoup de Mexicains “souffrent de stress post-traumatique” et les gens expriment leur angoisse via les réseaux sociaux à travers la critique des responsables politiques. A tout cela s’ajoute la gestion sécuritaire catastrophique depuis plus de dix ans, qui insupporte les Mexicains et surtout génère de la peur, a conclu M. El Yattioui.
Dans un pays affligé par la litanie quotidienne des crimes, de la corruption et des versions officielles douteuses, les Mexicains ont démontré leur force et leur potentiel à faire changer et réagir leurs politiques.
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