“Tamghrabit” : Une trajectoire historique vers l’équité ?

“Tamghrabit” : Une trajectoire historique vers l’équité ?

vendredi, 9 avril, 2021 à 10:52

(Par : Al Mustapha Sguenfle)

Rabat – En vogue ces dernières années, “Tamghrabit” (Marocanité) est une notion qui occupe une place de plus en plus prépondérante dans les médias, la société civile et les réseaux sociaux.

De portée étendue, ce néologisme hautement polysémique peut renvoyer à un large éventail d’acceptions. Pour les uns, “Tamghrabit” est l’expression d’une identité commune qui transcende les différences et consolide le sentiment d’appartenance nationale, pour les autres, le mot dégage une connotation isolationniste et chauviniste, tandis que certains y voient une réponse intéressante aux défis qui s’imposent à la société marocaine en ce XXIème siècle.

Le professeur en sciences sociales à l’Université Mohammed V de Rabat, Saïd Bennis, considère que le Tamghrabit peut être défini selon des composantes qui se réfèrent au territoire marocain, parmi lesquelles figurent l’histoire, la culture, les langues et l’implantation humaine.

Dans un entretien avec MAP-Amazighe, M. Bennis relève que ces composantes se reflètent dans les dispositions préconisées par la Constitution de 2011. “Tamghrabit est un reflet, d’abord, d’une identité plurielle, d’un passage d’un monolinguisme vers un bilinguisme officiel “Amazigh-Arabe”, mais également d’une identification non plus à une entité à caractère univoque qu’on appelait le “Maghreb Arabe”, mais à une identité qui s’étend sur une partie géographique de l’Afrique, à savoir le “Grand Maghreb”, relève-t-il.

L’académicien note que la Constitution de 2011 a prévu un cadre pour l’officialisation de l’amazigh, mais également la création d’un Conseil national des langues et de la culture marocaine, formulant le souhait de voir cette institution contribuer à opérationnaliser le concept de Tamghrabit sur la sphère publique.

Et d’ajouter qu’une série de mesures concrètes s’imposent afin que le Tamghrabit transite du “temps constitutionnel” vers le “temps institutionnel”. A titre d’exemple, Saïd Bennis pense qu’il serait opportun de se réconcilier avec une identité visuelle bilingue dans l’espace public, par le truchement des caractères tifinaghes et arabes. “Partant, nous recouvrons un espace public ayant une identité linguistique constitutionalisée”, relève-t-il, rappelant que dans les expériences internationales, l’espace public est un reflet de la politique identitaire.

S’agissant du rapport avec l’amazigh, M. Bennis estime que le Tamghrabit permet une appropriation collective de cette question. “Si la question amazighe intéressait auparavant le mouvement culturel amazigh et les citoyens et militants amazighophones, à présent, une telle question, au travers de ce concept, serait objet d’une réappropriation collective de la culture, de la langue, de l’histoire amazighe”, indique l’enseignant chercheur.

Dans ce sillage, il approche le Tamghrabit au prisme du concept de super-diversité (Superdiversity), qui permet d’intégrer toutes les différences (identitaires, culturelles, linguistiques, …) sur un territoire donné. “Le Tamghrabit peut se présenter comme un agglomérat d’éléments au sein duquel le Tamazight fait partie des autres composantes de l’identité marocaine”.

Par ricochet, Tamghrabit contribue à une certaine équité identitaire, culturelle et linguistique entre toutes les composantes de la nation marocaine. “En se référant à la constitution de 2011, les différentes composantes de l’identité marocaine (amazighe, arabe, hassanie, africaine, andalouse, hébraïque, méditerranéenne) devront être replacées de manière équitable au sein d’un contenant : le concept du Tamghrabit”, affirme-t-il.

Le concept émane de la nouvelle génération des droits humains, qui fait référence aux droits culturels et linguistiques d’abord, mais également aux droits identitaires et d’appartenance. A partir de cet ensemble de droits, la raison d’être du Tamghrabit s’impose comme “une question du vivre ensemble, de coexistence, de cohabitation des uns avec les autres en dépit des différences”.

Reconnaitre l’importance de Tamghrabit revient à “consolider une trajectoire historique de métissage”. D’ailleurs, le terme-même “Tamghrabit “est le produit d’un métissage linguistique entre la langue arabe et la langue amazighe, combinant le radical arabe “Maghrib” et l’affixe discontinu du pronom féminin en amazigh [t… t].

L’académicien consent qu’il existe des menaces dites de la diversité (Diversity Threats), que rappellent, par exemple, les expériences basque et belge. Néanmoins, il estime que ces menaces sont à nuancer et analyser dans le cadre des contextes spécifiques où elles opèrent. En contre-exemples, Saïd Bennis cite les cas canadien et suisse dont les modèles d’appartenance nationale reposent sur la diversité et la pluralité.

Concernant le cas marocain, il juge que les menaces de la diversité sont à minimiser compte tenu du “caractère ancestral des référents de la réalité” du pays nord-africain. L’universitaire croit qu’au contraire, le concept de Tamghrabit est en mesure de participer à “désamorcer les foyers de tensions identitaires et culturelles au Maroc”, du fait qu’il consacre une certaine forme d’équité et de justice culturelle et identitaire “moyennant une stratégie et une politique publique qui ferait du national et du territorial deux éléments qui renforcent le devenir du Royaume du Maroc”.

Dans ce sens, il plaide pour que les médias régionaux jouent le rôle “d’impulsion du local et du territorial”, d’autant plus que ces médias “sont traversés en diagonale par un contenu à caractère national et diffusent équitablement des contenus à caractère local / territorial et ceux à caractère national”.

Somme toute, il s’agit d’incarner la devise : “l’intégration locale est la base de l’intégration nationale”. A cet effet, le professeur universitaire estime que “si les personnes sont bien intégrées dans leurs régions, leurs localités, l’intégration nationale devient plus qu’un lien, elle est essentiellement le fer de lance de l’appartenance et de la citoyenneté”.

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