Mahjouba Edbouche ou la saga improbable d’une militante associative peu ordinaire (Portrait)

Mahjouba Edbouche ou la saga improbable d’une militante associative peu ordinaire (Portrait)

vendredi, 6 mars, 2015 à 12:48

Par Fatiha ABOULHORMA

Agadir- Difficile de demander à Mahjouba Edbouche, présidente de l’Association Oum El Banine à Agadir, de parler d’elle-même, sa vie et son parcours, sans qu’elle ne déverse des flots de drames et de souffrances humaines qui, au lever de chaque jour, retracent des rides renouvelées sur la saga improbable d’une militante associative peu ordinaire.
“Désolée pour le retard, mais j’arrive de Dcheira le coeur gros à cause d’un problème très douloureux”, lancera-t-elle sans plus de détails à l’adresse de la journaliste de la MAP, le souffle haletant après avoir gravi les marches d’un escalier de fer qui mène au siège de l’Association.
Aussitôt dans son bureau, cette sexagénaire au teint basané, est prise d’assaut de toutes parts, entre sonneries incessantes du téléphone, demande d’une dame venue chercher un chèque à signer, requête d’une autre au sujet du sort réservé à un pavillon de prière pour femmes dans une mosquée de Taroudant.
Dans l’entretemps, une jeune fille, la vingtaine, est venue demander à la présidente un service. S’ensuit alors un échange vif, agrémenté de propos codés, sur “la responsabilité”, “l’engagement”, “la pondération”…etc. Sitôt la jeune fille sortie, Mahjouba s’écroula, donnant libre cours à des larmes chaudes dont on ne connaîtra jamais les causes.
Mais qui est cette Mahjouba ? Qu’est-ce qu’elle cherche ? Qu’est-ce qui la fait courir ? D’où tient-elle toute cette passion, cet engagement à mener un combat aussi acharné contre le phénomène des mères-célibataires qui, plus est, dans une société conservatrice comme le Souss ? Mieux encore, comment parvient-elle à tenir autant et à sombrer avec égale aisance ?.
Avec la résignation d’un ermite et la foi d’un charbonnier, elle essuya ses larmes derrière d’épaisses lunettes de vue, redressa un foulard sur une chevelure parsemée de blancheur et reprit ses esprits et son flegme habituel.
Elle serra ses lèvres comme pour contenir une colère noire, avant de lancer sans préambules : Sais-tu que je n’ai pas pris mon déjeuner alors qu’il est 17h passé ? Et comment sauront-elles que je prends soin d’une mère âgée et invalide, de la nourriture jusqu’aux couches ? Le fardeau s’alourdit et la responsabilité pèse sur l’Association Oum El Banine, la première dans la région à avoir dévoilé au grand jour l’ampleur du viol!.
Or, Mahjouba qui, du haut de ses 64 ans ne sépare plus de sa djellaba traditionnelle, fut un jour une férue de mini-jupes durant les années 60 et 70 et continue toujours de s’exprimer en français, une langue qu’elle chérit depuis sa tendre enfance au sein de la mission française, avec ses réminiscences de fêtes, de couleurs et de poupées.
“En réalité, ce fut une enfance en deux temps”, rectifiera-t-elle, en évoquant sa vie à Agadir où elle vit le jour un mois de novembre 1951, d’un père employé dans une société de transport international, et où elle a passé ses plus belles années d’enfance avant que le séisme de 1960 ne rase tout sur son passage.
“Après le séisme, poursuit-elle, je suis rentrée avec ma famille au village natal de mon père à Ifrane de l’Anti-Atlas où ma mère, originaire elle de Chtouka Aït Baha, entama ma préparation à ma mission de femme au foyer. J’ai fini, non sans difficultés, à assimiler les rites de la femme amazighe soussie et j’ai troqué le costume citadin contre Lmlahfa, Addal (sorte de foulard) et Idoukane (babouches). Je me suis même habituée aux missions qui m’étaient imparties, à savoir ramener l’eau de source dans des jarres en terre et chercher le bois”.
Le destin a voulu que la famille rentre à Agadir et que Mahjouba soit promise, à l’âge de 16 ans, à un cadre natif de la bourgade voisine de Dcheira et lauréat de l’Université de Bordeaux.
“J’étais loin d’imaginer que ma nuit de noces allait me réserver une aussi grosse surprise : Mon mari était père de trois filles, dont la benjamine n’avait pas plus de 40 jours. Autant dire qu’au lieu de prendre soin de mes frères, j’allais être aux petits soins d’autres enfants!”, dira-t-elle.
Au fil des jours, la jeune Mahjouba prend goût à sa nouvelle vie avec un mari ouvert lui ayant assuré toutes les chances d’émancipation et d’épanouissement (musique, fringues, voyages à l’étranger), jusqu’au jour où cette idylle tourne au cauchemar : Son mari meurt dans un accident de voiture en 1976.
Son visage s’assombrit à mesure qu’elle se rappelle cet épisode critique de sa vie, lors duquel elle a refusé d’épouser le frère de son mari disparu, comme il est d’usage.
Avec trois enfants en bas âge et un étau qui se resserre implacablement autour d’elle, elle se souvient combien lui paraissaient caduques ces valeurs d’entraide, de soutien et de solidarité qu’elle a longtemps entendues, comment elle était gênée d’être traitée de “mère d’orphelins” et combien elle a été révoltée de voir ses enfants privés de leurs droits à l’héritage, “des droits que j’ai arrachés de force à leur grand-père paternel”.
Elle racontera, avec une tristesse sans abîmes, comment elle a cravaché dur pour subvenir, seule, aux besoins de ses petits, jusqu’au jour où son père, visiblement attendri, leur fournit un gîte, lui permettant du coup de décrocher un premier emploi en tant que monitrice au département de la jeunesse et des sports à Dcheira, puis en tant qu’employée dans une agence de location de voitures, d’où elle obtient un permis de conduire en 1979.
Son passage par ladite agence lui permit d’élargir ses connaissances et ses contacts pour obtenir un poste d’employée au ministère de l’Intérieur comme agent à Fask (30 km de Guelmim), avant de s’embarquer dans “une expérience extraordinaire” avec le département de l’Agriculture dans la même ville, si ce n’était la demande pressante des enfants à rebrousser chemin vers Dcheira.
“J’ai démissionné et j’ai négocié un deal avec le père de mon mari: Il nous assure le gîte et je me charge de subvenir aux besoins des miens”, a-t-elle dit. S’en suit alors un nouveau périple à la recherche d’un emploi qui finira, sur le conseil d’un ami de son père, par l’amener à la rencontre de la Fondation suisse “Terre des Hommes” en 1985.
Répondant aux trois conditions requises (maîtrise de l’amazigh et du français et disposer d’un permis de conduire), la jeune recrue est vite engagée contre un salaire de 1800 dh pour prendre soin des handicapés, avant d’être nommée responsable du programme de traitement des maladies cardiaques, puis coordinatrice nationale des maladies cardiaques, “ce qui m’a permis de faire connaissance avec les grands médecins et cardiologues du Maroc”.
Elle sera ensuite nommée directrice de la crèche “Marche des enfants”, là où, dit-elle, “j’ai a attrapé le virus des mères-célibataires, où j’ai découvert que 50 PC sur les 120 enfants nés hors mariage ne venaient pas hors d’Agadir et région, comme je croyais auparavant”.
Trente ans après, Mahjouba signale que son association a reçu, rien qu’en 2014, quelque 170 cas de grossesse hors mariage, faisant état d’un changement qualitatif en termes de tendances, au cours des dernières années.
Elle assure, en effet, que les victimes se répartissent en huit catégories, où l’on croise les bonnes victimes de viol, les mères chefs de famille, les étudiantes, les victimes de promesses non-tenues, les filles de mères célibataires, des filles mineures prostituées en bas âge (8 ans), des grossesses dues à des rapports avec des ressortissants subsahariens et des femmes en instance de divorce.
Sur le devenir d’enfants passés par l’Association, Mahjouba assure, le visage subitement éclairé d’un sourire jovial, qu’en général ils ont réussi leur vie, certains ayant atteint des niveaux académiques honorables, d’autres devenus des champions sportifs, d’autres des lauréats de grandes écoles, relevant que les actions de l’Association ont épargné la dislocation à nombre de familles, grâce à des démarches de conciliation “qui nous ont conduit des douars les plus reculés du Tadla jusqu’aux confins du Sud”, pour rapprocher tantôt des filles de leurs familles, tantôt la mère-célibataire du père légitime de l’enfant.
De ce parcours dense et douloureux d’actrice sociale influente dans la région, honorée à maintes reprises au Maroc comme en Suède et en Allemagne en 2012, Mahjouba se rappelle amèrement l’histoire de cet homme qui a violé ses deux filles âgées de 13 et de 17 ans ou encore le cas d’un autre qui a violé ses trois fils.
Et de conclure que “si le visiteur de la première destination balnéaire du Maroc n’est pas obligé de se soucier des secrets, interrogations et autres préoccupations d’Agadir, ses fils n’ont pas le droit d’ignorer l’existence, parmi eux, de victimes dont des enfants et des femmes à la fleur de l’âge, comme s’ils étaient des créatures invisibles”.
Aujourd’hui, après trois décades de combat acharné et taciturne, Mahjouba ne désarme point. En 2012 déjà, elle avait créé à Dcheira l’Association “Ahdane”, une structure qui s’intéresse aux “mères avec ou sans contrats de mariage”. Un autre engagement est pris, un nouveau défi est lancé, tout un chapitre est ouvert : A cœur vaillant, rien d’impossible.

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