Covid-19 et l’après-crise: Six questions à l’économiste américain Hinh T. Dinh

Covid-19 et l’après-crise: Six questions à l’économiste américain Hinh T. Dinh

mardi, 5 mai, 2020 à 12:30

Par -Omar ACHY-

Washington – L’économiste américain et Senior Fellow au centre de recherche Policy Center for the New South (PCNS), Hinh T. Dinh, est un spécialiste de l’économie du développement et de la finance internationale qui a servi plus de 35 ans au sein de la Banque mondiale. Dans cette interview accordée à MAP Washington, ce chercheur principal à l’Université de l’Indiana aux Etats-Unis, qui compte une vaste expertise des politiques macroéconomiques et structurelles, livre son analyse sur l’ampleur de la crise économique découlant de la pandémie du coronavirus et les scénarios de sortie et de relance. Dans le cas du Maroc et de l’Afrique, les différentes initiatives de SM le Roi Mohammed VI pour répondre à cette tempête sanitaire inédite et enclencher une démarche africaine coordonnée et solidaire ont été abordées avec cet économiste auteur de plusieurs publications portant sur l’industrialisation, la gestion fiscale et le développement économique du continent.
1 – Comment évaluez-vous l’ampleur, la vitesse et l’impact de l’effondrement soudain de l’activité économique dans le contexte de la pandémie de coronavirus?
Dans ses projections de croissance des Perspectives de l’économie mondiale d’avril 2020, le FMI s’attend à une baisse de la production mondiale de 3% avec une forte baisse attendue pour les économies avancées (-6,1%), dont le PIB américain qui devrait baisser de -5,9% tandis que celui de l’Allemagne et la France de -7,0% et -7,2% respectivement. La production des pays émergents devrait diminuer de 1%, parmi lesquels la Chine qui ne devrait croître que de 1,2% et l’Inde de 1,6%.

Cependant, ce scénario suppose que la pandémie disparaîtra dans la seconde moitié de 2020 et donc que les activités économiques complètes reprendront au début de 2021. À mon avis, cela ne peut se produire que si un vaccin pour Covid-19 peut être trouvé, testé, et mis à la disposition de tous d’ici la fin de 2020. Jusqu’à ce qu’un tel vaccin soit trouvé, une reprise complète de toutes les activités économiques devra être effectuée par phases (voir ci-dessous). Les complexités et les risques associés à l’assouplissement de la distanciation sociale en l’absence de vaccin signifient qu’au mieux, les activités économiques peuvent reprendre progressivement et il faudrait au moins une autre année (c’est-à-dire mi-2021) avant que tout ne redevienne normal.
2- Quelles sont les mesures les plus urgentes que les gouvernements devraient prendre pour atténuer l’impact social et politique de la crise?
La décélération sans précédent des activités économiques a entraîné des coûts économiques importants, notamment un chômage galopant. De plus, la durée de la crise et la rapidité de la reprise qui s’ensuit restent inconnues, il est donc difficile d’évaluer l’ampleur de ces coûts. Plus la crise durera longtemps, plus les dommages seront coûteux.

Normalement, les pays confrontés à une crise d’origine étrangère telles que celle-ci pourraient solliciter l’aide de ressources externes, comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, mais la nature et l’ampleur mondiales de cette crise sont telles que ces ressources externes seront insuffisantes et doivent être complétées par un financement national.

La politique budgétaire doit viser à atténuer les effets négatifs causés par une décélération rapide des activités économiques. La politique monétaire doit fournir un flux de liquidités suffisant aux entreprises et aux ménages et garantir que le gouvernement dispose d’instruments de financement adéquats pour mobiliser les ressources.

La pandémie affecte négativement les travailleurs des secteurs formel et informel. Le groupe le plus vulnérable comprend les travailleurs du secteur informel et /ou à temps partiel, les jeunes non qualifiés et les décrocheurs scolaires.

Il est important que les pays étendent le filet de sécurité pour inclure ceux récemment licenciés en raison du coronavirus. Dans de nombreux pays, des organisations caritatives et bénévoles se mobilisent pour aider les travailleurs concernés. Pour le secteur formel, le choc de la demande affecte différemment les entreprises dans différents secteurs, et les gouvernements doivent donc cibler d’abord les entreprises les plus touchées.

Il existe trois types d’entreprises: (i) les entreprises à demande continue (telles que l’épicerie et les produits médicaux); (ii) les entreprises confrontées à une perte de demande (y compris les restaurants, les voyages, les divertissements, les transports et le tourisme); et (iii) les entreprises confrontées à une demande retardée (y compris les produits de consommation et de production et les services aux entreprises connexes).

Les entreprises de la première catégorie n’ont pas besoin d’aide, tandis que celles des deuxième et troisième catégories sont prioritaires pour l’assistance. Celles de la deuxième catégorie pourraient recevoir des subventions en espèces uniques, tandis que celles de la troisième catégorie pourraient bénéficier de prêts, car la demande pour leur production devrait rebondir. Le programme de filet de sécurité actuel dans chaque pays devrait s’étendre pour couvrir au moins les besoins fondamentaux des travailleurs de ces entreprises.

3- Comment voyez-vous le chemin du rétablissement et combien de temps cela prendra-t-il pour revenir à la “normale”?
Je m’attend à un long chemin vers la récupération de Covid-19, qui, selon de nombreux experts, peut prendre trois phases. Au cours de la phase I, et parce que le coronavirus se propage très rapidement par contact humain et qu’il n’y a actuellement ni vaccin ni remède, les pays se sont appuyés sur le confinement, la distanciation sociale, la quarantaine et l’isolement pour faire face au COVID-19. Ces mesures visent à “aplatir la courbe” afin que les infrastructures et les ressources de santé limitées puissent accueillir les patients sans être dépassées, ce qui entraînerait des décès inutiles en raison de soins inadéquats.

En l’absence de tests et de suivis généralisés, ce sont les méthodes les plus connues pour ralentir la propagation, mais les coûts économiques de ces actions, en particulier pour le tourisme, le commerce et les investissements étrangers, sont énormes. Au cours de la phase II, certaines restrictions seront assouplies et certaines activités économiques sont autorisées tout en veillant à ce que le coronavirus ne revienne pas. La phase III commence lorsqu’un vaccin est disponible afin que les activités économiques complètes reprennent. Les déclencheurs pour passer de la période I à la période II sont une baisse continue des cas documentés de COVID-19 dans une période de 14 jours (l’incubation) et un programme de test robuste en place pour les travailleurs de la santé à risque. D’autres critères incluent une baisse des cas de grippe rapportés dans un délai de 14 jours et des hôpitaux ayant suffisamment d’équipement de protection pour leurs travailleurs et suffisamment de lits, de ventilateurs et d’autres fournitures nécessaires pour traiter tous les patients.

Nous ne pourrons jamais revenir à un état “normal” à moins qu’un vaccin ne soit trouvé et disponible pour tout le monde.
4- Quelle évaluation faite vous de la réponse du Maroc face à cette pandémie ?

Depuis le premier cas de COVID-19 au Maroc, le gouvernement a rapidement mis en œuvre des mesures fortes pour maîtriser la propagation du virus. Les autorités ont fermé les frontières, suspendu tous les vols internationaux, croisières et navires à passagers, et restreint les vols intérieurs. Le Roi Mohammed VI a créé un fonds national d’urgence alimenté par des dons importants de tous. Le gouvernement a utilisé ces ressources financières pour acheter des lits de réanimation, des respirateurs, des kits d’échantillonnage, des kits de test et du matériel de radiologie et d’imagerie. Le pays a par la suite décrété l’état d’urgence, fermant toutes les écoles, mosquées, cafés et restaurants, lieux de sport et de divertissement pour lutter contre la propagation du virus. Pour aider à soulager la souffrance économique, le Maroc verse une allocation aux personnes qui perdent leur emploi et reportent les paiements d’impôts et de dettes des petites entreprises.

Ces mesures décisives, conjuguées aux efforts de sensibilisation des citoyens, ont permis de contenir la propagation du coronavirus au Maroc. Mais les coûts de la pandémie pour l’économie ont été importants. En tant qu’importateur d’énergie, le Maroc a bénéficié de la baisse des prix de l’énergie, mais les transferts de fonds, le tourisme, les transports et les services d’accueil souffrent tous du fait des restrictions mondiales et des faiblesses des chaînes d’approvisionnement.

Le gouvernement dispose de peu de ressources pour soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) et les grandes entreprises, et ses réseaux de services sociaux et de santé sont tendus. En raison de la pandémie, le Maroc et le reste du monde sont confrontés à une grande incertitude économique. Les chiffres officiels montrent que 700 000 travailleurs ont perdu leur emploi. L’intégration étroite du Maroc avec l’Europe et l’impact négatif de la pandémie sur cette dernière créent également des problèmes liés à la reprise du Maroc et à sa chaîne d’approvisionnement et à ses clients. Actuellement, l’UE représente plus de 58% des exportations marocaines, 59% des investissements directs étrangers (IDE) et 70% de l’industrie touristique marocaine.

5 – La pandémie a paralysé les chaînes d’approvisionnement. Quels défis une telle situation pose-t-elle pour aux pays en développement ?

La pandémie a mis en évidence l’importance de l’industrie manufacturière locale pour la sécurité nationale et a conduit certains pays à insister pour que les produits essentiels au secteur de la santé soient fabriqués localement. Alors que les gouvernements adoptent des stratégies de préparation à une pandémie appelée à durer, la demande mondiale de produits médicaux sera maintenue au moins à moyen terme, créant de nouvelles opportunités pour les entreprises manufacturières dans des pays comme le Maroc. Ces entreprises peuvent contribuer à atténuer le COVID-19 tout en se positionnant pour un succès potentiel à long terme en produisant une variété de produits médicaux.

Des équipements médicaux simples comprenant des masques faciaux, des gants, des blouses et du matériel médical simple sont fabriqués au Maroc. Afin de survivre au ralentissement économique, de nombreuses PME mettent à profit la grave pénurie de ces produits en ajustant leurs chaînes de production en usine et en recyclant leur main-d’œuvre pour produire des produits médicaux simples pour les hôpitaux locaux. Les entreprises manufacturières légères du Maroc l’ont fait et devraient être encouragées à le faire à court terme.

Des équipements médicaux plus complexes, notamment des lits d’hôpitaux, des instruments médicaux, y compris des respirateurs, et des véhicules de transport médical tels que des fauteuils roulants, des fourgonnettes et des ambulances, pourraient être produits par des entreprises des secteurs des produits métalliques, des machines, de l’électronique, de l’automobile et des pièces d’avion. Cela a été fait aux États-Unis, les fabricants de pièces d’automobiles et d’aéronefs ajustant les lignes de production pour produire des respirateurs. Comme le Maroc possède déjà des grappes d’automobiles et d’avions bien établies, le pays pourrait se diversifier dans ces types de matériel médical et de véhicules. Cela serait conforme à la volonté de certains pays d’être autosuffisants dans la production de ces produits dans un souci de sécurité nationale, à la suite de la crise COVID-19.

Ces efforts peuvent servir de rappel aux pays en développement pour qu’ils mettent en œuvre des changements structurels afin d’assurer une plus grande autonomie. Bon nombre des produits médicaux nécessaires à la lutte contre le COVID-19 sont fabriqués à l’aide de technologies bien connues et disponibles sur le marché que les entreprises peuvent acheter n’importe où, si elles ont les compétences et le savoir-faire pour les utiliser.

Le processus de réadaptation pourrait être encouragé par: (i) le crédit promis par le gouvernement afin que les entreprises puissent continuer à payer les employés pendant leur réorganisation; (ii) un accès facile à l’information et la disponibilité des technologies; et (iii) une connectivité efficace entre les parties critiques (fournisseurs, installations médicales et autres acheteurs).

À plus long terme, alors que la sensibilisation aux risques de dépendance excessive à l’égard de la Chine pour tous les produits manufacturés (des fournitures médicales et des ventilateurs aux iPhones) augmente, les acheteurs et les investisseurs du monde entier chercheront des sites de production en dehors de la Chine. Le Maroc a une occasion unique de tirer parti du ralentissement économique pour se positionner parmi les sites de fabrication viables.
6 – Vous avez longtemps travaillé sur les questions du développement en Afrique, quel impact aura cette crise sur le continent?
Du fait d’une moindre exposition au coronavirus, j’espère que la pandémie ne ravagera pas l’Afrique de la même manière qu’elle l’a fait en Asie et en Amérique du Nord. D’un autre côté, si la pandémie frappe ce continent, elle pourrait faire plus de ravages en raison de la faiblesse des systèmes et des infrastructures de santé, de leurs ressources budgétaires inadéquates et de la faible capacité du gouvernement. Par exemple, il semble que le Zimbabwe ne dispose que de 5 respirateurs tandis que l’ensemble du Nigeria ne dispose que de 500 ventilateurs pour faire face à la pandémie. Cette situation désastreuse explique également pourquoi jusqu’à présent, plus de 100 pays dans le monde ont sollicité l’aide de la Banque mondiale et du FMI pour les coronavirus, même s’il n’y a pas encore eu d’épidémie massive dans le monde en développement.

L’initiative africaine du Roi Mohammed VI en Afrique est donc à la fois opportune et cruciale pour faire face à la pandémie de coronavirus. L’initiative appelle à une réponse unifiée et concertée à la pandémie de COVID-19 en Afrique et à faciliter une action conjointe des pays africains. Elle permet le partage d’expériences et de meilleures pratiques pour faire face à l’impact sanitaire, économique et social de la pandémie.

Le Maroc se trouve dans une position favorable par rapport à de nombreux pays de la région et du monde. Jusqu’à présent, le gouvernement et le peuple marocains semblent faire de leur mieux pour aplanir la courbe du coronavirus et relever les défis difficiles à venir.

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