Bilmawen Bodmawen ou la saga d’un rite qui refuse de mourir (Analyse)

Bilmawen Bodmawen ou la saga d’un rite qui refuse de mourir (Analyse)

lundi, 29 septembre, 2014 à 10:55

Par Fatiha ABOULHORMA

Inezgane- La ville d’Inezgane s’apprête à accueillir, les 11 et 12 octobre, la 3ème édition du carnaval Bilmawen Bodmawen sous le signe “mémoire et identité au service du développement”. Il s’agit d’une procession riche en couleurs, spectacles, symboles, sons et odeurs qui, se refusant de mourir, perpétue un rite ancestral, celui d’une manifestation traditionnellement liée à Aid Al Adha.

Bilmawen Bodmawen (littéralement l’homme aux peaux et aux multiples visages, en allusion aux masques) est le nom d’un carnaval devenu, au fil de ses trois éditions, la marque de fabrique de la préfecture d’Inezgane Aït Melloul et des localités avoisinantes où cette cérémonie populaire, faite de déguisements et apparats, est célébrée dans la joie et l’allégresse.

Pratique carnavalesque par excellence, cette manifestation aux évocations symboliques, culturelles et historiques bien ancrées, se présente, à bien des égards, comme le condensé mnésique de croyances, us et coutumes d’un temps qui fut.

Appelée selon les différentes régions du Maroc tantôt “Boujloud”, tantôt “Boulabtayne”, “Bouhidour”, “Harma”, “Bashikh” ou “Souna” dans le nord-est marocain, cette pratique n’est pas étrangère à d’autres régions de l’Afrique du Nord, notamment aux Amazighs d’Algérie où elle se retrouve dans certaines régions sous le nom de “Baba Al Haj” ou “Bouâafif” et jusqu’aux Iles Canaries.

Autant dire l’étendue d’un rituel aux dénominations multiples certes, mais qui continue de rendre inexorablement l’écho d’origines et croyances qui remontent à la nuit des temps.

Mais en quoi consiste tout ce rituel à Inezgane et régions? Le procédé est simple. Au lendemain de Aid Al Adha, si ce n’est la soirée même, dans chaque ruelle et quartier, des jeunes redoublent d’efforts pour s’entraider à confectionner minutieusement des costumes d’apparat qui, parfois, nécessitent jusqu’à cinq peaux par individu selon la taille et la morphologie de tout un chacun.

Chaque groupe prépare ses déguisements et son matériel et procède à la décoration et à l’embellissement de sa tenue par des couleurs chatoyantes, vives et uniques, faisant ainsi preuve d’une grande ingéniosité et de créativité où le burlesque se dispute la vedette au réel et où la modernité et la tradition cohabitent sans jamais se faire mal.

De mémoire, on raconte que les festivités se déroulaient aux sons des cris de joie et d’émerveillement des enfants et des femmes qui tentent de toucher les sabots des pattes pendantes utilisés par les membres de la troupe. Chaque soir, et durant plusieurs jours, les participants au défilé, masqués et déguisés, se réunissaient à “Assays”, la grande place, où ils proposent des présentations folkloriques faites de chants et de danses au rythme de musiques traditionnelles et populaires jusqu’à une heure tardive de la nuit.

Si une tradition tenace veut attribuer à ces pratiques mondaines des vertus ésotériques consistant à apporter chance, fortune et bien-être, il n’en demeure pas moins que Bilmawen est resté éminemment une festivité où les jeunes rivalisent pour mettre en avant leurs talents artistiques en termes d’imagination et de créativité. Ce faisant, Assays devient une arène où sont livrés une multitude de messages et de signes à portée religieuse, culturelle, sociale et humaine à l’instar du “Théâtre de la rue” ou de “Happening”.

Au fait, d’où tient-il toute sa résilience ce phénomène qui refuse de mourir? Pour Mohamed El Moukh, membre de la Fondation des initiatives de développement de la préfecture d’Inezgane Aït Melloul (FID/PIA), initiatrice de ce 3ème carnaval, il s’agit d’un legs qui ne cesse de chercher ses moyens de résistance et de renouveau, en s’inspirant, pour ce faire, de l’expérience d’autres carnavals internationaux qui, sous d’autres cieux, ont commencé par des participations très réduites et qui n’ont pas tardé à s’imposer comme des rendez-vous fort indiqués sur les agendas culturels et touristiques de par le monde.

Il explique dans une déclaration à la MAP que l’intérêt porté à un pareil rite ancestral, très enraciné dans l’histoire des Amazighes de l’Afrique du Nord, va de pair avec le souci que le Maroc témoigne à l’égard de la culture en tant que levier de développement économique et touristique des territoires et de la place qui sied dans ce schéma au patrimoine immatériel.

Dans une déclaration similaire, le directeur de ladite Fondation, Ahmed Sabir, ex-doyen de la faculté des lettres d’Agadir, met l’accent sur l’impératif de promouvoir ce carnaval en tant que réceptacle de valeurs culturelles prometteuses, pour lui imprimer une dimension académique avec la participation de nombre de chercheurs marocains et étrangers, notamment de France.

Il s’agira aussi, dit-il, d’assurer à cette manifestation un rayonnement international “timide au départ”, à travers la participation d’une troupe sénégalaise et de la troupe canarienne “Los Diabletes de Teguise (Les Diables de Teguise)”, dont les spectacles remonteraient à la période antérieure à la découverte des Amériques, c’est-à-dire à l’époque où les Canaries étaient de langue et de culture amazighes.

A ce sujet précisément, Lahoucine Bouyâakoubi, enseignant d’anthropologie à l’Université Ibn Zohr d’Agadir et directeur-adjoint de la même Fondation, soutient que l’évocation de l’altérité de l’Autre dans ce genre de rituel témoigne de la quête permanente de l’homme amazigh de s’ouvrir sur les autres cultures, les montagnes de l’Atlas qui servirent jadis de rempart pour cet être humain et ses conceptions de l’existence et de l’univers, n’étant plus d’aucun recours dans le sillage de l’avancée inexorable de la mondialisation faite d’Internet, d’antennes paraboliques et d’autres médias.

Le même chercheur estime que l’organisation de ce carnaval, longuement combattu par les forces coloniales françaises et espagnoles et, par la suite, par certaines parties qui avaient pris l’habitude de ne voir ce rituel que d’un mauvais œil, témoigne que bien des eaux ont coulé, depuis, sous les ponts et qu’un compromis s’est dégagé au gré des flux et reflux entre les divers intervenants en vue de faire de cette manifestation un des affluents du développement économique et culturel de la région.

Au fait, les cercles académiques n’ont jamais fait peu de cas d’une manifestation de la stature de Bilmawen Bodmawen au regard de l’intérêt que lui porte un nombre important de jeunes de plus en plus croissant, tant et si bien que la Faculté des lettres et des sciences humaines d’Agadir lui avait consacré, en mai 2013, un colloque international sous le signe “le carnaval dans les sociétés amazighes”.

Initiée conjointement avec l’organisation Tamaynut (section d’Inezgane), cette rencontre s’est attelée à présenter et analyser les différentes activités carnavalesques et spectaculaires dans les sociétés amazighes comme Bilmawen, Imâachar, Ihiyyadn, Telghenja, telles qu’elles sont pratiquées dans les sociétés nord-africaines, en traitant de leurs origines historiques, de leurs aspects anthropologiques, de leur évolution et de leur avenir.

Les participants ont relevé que ces traditions éminemment masculines, notamment Imâachar et Bilmawen, qui consistent à se déguiser avec des peaux de moutons ou de chèvres, et à se cacher le visage avec des masques de façon à ne plus être reconnus, étaient auparavant répandues dans toutes les régions d’Afrique du nord, que ce soit dans des régions amazighophones ou arabophones.

Expression d’un intérêt de plus en plus consistant, la préfecture d’Inezgane Aït Melloul allait abrier, en juin 2013, une journée d’étude sur “Bilmawen: un patrimoine au service du développement”, avec la participation de plusieurs chercheurs ayant débattu de thématiques portant, entre autres, sur “l’histoire de Bilmawen”, “Bilmawen dans la culture marocaine”, “l’expérience du carnaval de Bilmawen Bodmawen”, “l’expérience d’Imâacharen de Tiznit” et “Bilmawen comme levier du développement local”.

Dans l’entretemps, à Inezgane et régions, des jeunes continuent, à l’approche de Aid Al Adha, de redoubler d’efforts pour avoir un droit au chapitre: Battre le pavé aux côtés de pas moins de 4.000 participants le long de l’Avenue Mohammed V allant de Dcheira vers Inezgane, en présence de quelque 200 mille spectateurs, avec à la clé une compétition pour le meilleur spectacle.

Les organisateurs de ce 3ème carnaval promettent des soirées artistiques à Aït Melloul, Dcheira et Inezgane, mais aussi une nouveauté. Le célèbre parolier de la troupe légendaire des Izenzaren Mohamed Hanafi, auteur entre autres des célèbres tubes “Immi Henna” ou de “Tamaguit”, première chanson en langue amazighe de la troupe Nass Al Ghiwane, dévoilera, dit-on, une autre de ses multiples facettes: Celle d’un sculpteur !.

Lire aussi

Casablanca: la classe ouvrière célèbre la fête du Travail

mercredi, 1 mai, 2024 à 15:58

Les centrales syndicales ont organisé, mercredi à Casablanca, plusieurs meetings et manifestations en célébration de la Fête du Travail, qui intervient cette année au lendemain de la signature d’un accord avec le gouvernement dans le cadre du dialogue social.

ANEF: réunion inaugurale du projet Green Jobs II

mercredi, 1 mai, 2024 à 11:11

La première réunion du comité de pilotage du projet Green Jobs II “Promotion des emplois verts à travers les chaînes de valeur durables en zones rurales et de montagne”, s’est tenue, mardi à Rabat.

6e championnat arabe de handball des jeunes (finale): le Maroc s’adjuge le titre après sa victoire face au Koweït (5-4 t.a.b)

mardi, 30 avril, 2024 à 23:48

La sélection nationale de handball s’est adjugée le titre de la 6e édition du championnat arabe des jeunes, en s’imposant face à son homologue koweïtienne par 5 tirs au but à 4 (31-31 temps réglementaire et 4 prolongations), en finale disputée mardi soir à Casablanca.