Quand Londres et Paris confirment leur realpolitik !

Par Fouzi AZZAM

Londres – En dépit du Brexit, la coopération multiforme, profonde et féconde existant entre Royaume-Uni et la France ne cesse de renforcer, tout en s’adaptant à la nouvelle donne géostratégique qui se dessine.

Confrontés au défi de l’immigration clandestine, les deux pays ont signé jeudi à l’Académie militaire royale de Sandhurst, près de Londres, un nouveau Traité pour mieux contrôler le flux migratoire passant par Calais.

Ce Traité a été signé par le président français Emmanuel Macron et la Premier ministre britannique Theresa May lors du 35e sommet franco-britannique.

Ce nouvel accord vise à “renforcer la gestion conjointe de notre frontière commune avec un traitement amélioré des mineurs non accompagnés demandeurs d’asile”, selon un communiqué publié à l’issue de la rencontre du président français avec la Première ministre britannique.

Pour M. Macron, ce nouveau “Traité de Sandhurst” permettrait “d’améliorer la gestion technique, opérationnelle de cette frontière commune”.

“Cela va nous permettre de changer en profondeur les choses, aussi pour mineurs vulnérables, (…) d’avoir une approche plus humaine, plus efficace, et de préserver la qualité de notre frontière commune”, a-t-il déclaré, lors d’une conférence de presse avec Mme May.

Le nouveau Traité complète en réalité les accords du Touquet de 2004 qui avaient instauré des contrôles d’immigration communs dans les ports des deux pays – sans réussir à juguler l’afflux de migrants à Calais.

Calais et la proche entrée du Tunnel sous la Manche sont les dernières étapes d’une longue route pour des milliers de migrants. Après avoir démantelé une première fois en 2009, la “jungle”, un vaste bidonville situé entre la ville et la gare de Calais-Fréthun, comptait en 2016 jusqu’à 8.000 personnes… avant d’être démantelé une seconde fois. Depuis, des milliers de migrants, demandeurs d’asile ou sans-papiers, sont restés sur place, nourrissant toujours l’espoir de traverser la Manche.

En vertu des accords du Touquet en vigueur depuis 2004, la frontière britannique est fixée sur la côte française, où les agents britanniques effectuent des contrôles. Ces derniers peuvent également intervenir dans les terminaux ferroviaires de la gare du Nord à Paris, de la gare de Bruxelles-Midi et de Calais-Fréthun. Dans ce cadre, le Royaume-Uni a dépensé plus de 100 millions de livres (113 millions d’euros) ces trois dernières années.

Le nouveau Traité franco-britannique sur la migration prévoit une contribution complémentaire de Londres de 50 millions d’euros au contrôle de la frontière à Calais, où sont bloqués de nombreux clandestins dans l’espoir de franchir la Manche.

Cette nouvelle contribution financière britannique contribuera à l’amélioration de la sécurité de la frontière à Calais.  “Nous renforcerons les infrastructures de sécurité avec davantage de vidéosurveillance, des clôtures et des technologies infrarouges à Calais et dans d’autres postes frontières”, a expliqué Mme May.

Outre la question migratoire, le sommet franco-britannique, le premier depuis le vote des Britanniques en faveur de la sortie de l’Union européenne, a abordé d’autres sujets à savoir la coopération militaire et sécuritaire.

En matière de défense, la PM britannique a annoncé l’envoi de trois hélicoptères de transport lourd Chinook de la Royal Air Force pour soutenir les forces françaises dans la région du Sahel, ainsi qu’une contribution financière à la lutte contre le terrorisme dans cette région.

Selon la presse anglaise, les Britanniques avaient déjà aidé l’armée française au début de l’opération Serval, en mettant à disposition des avions de transport et des appareils d’écoute et de renseignement.

Pour sa part, la France devra apporter un appui au groupement tactique de l’Otan dirigé par le Royaume-Uni en Estonie. A rappeler que l’armée française s’était déployée, l’an dernier, à Tapa en Estonie, sous commandement britannique, dans le cadre des mesures de réassurance de l’Otan. 

En matière de lutte contre le terrorisme, les services britanniques de sécurité (MI5, intérieur, MI6, extérieur et le GCHQ) vont renforcer leur coopération avec les agences de renseignement françaises (DGSE, extérieur et DGSI, intérieur).

 Le Royaume-Uni et la France conviennent aussi de renforcer leur coopération dans les questions relatives à la sécurité et justice pénale dans le cadre du plan signé par les deux pays en juin 2017

Selon Mme Theresa May, le sommet de Sandhurst “montre qu’une relation solide entre nos deux pays, est dans l’intérêt du Royaume-Uni, de la France et de l’Europe”. Le Royaume-Uni “se prépare à quitter l’UE, mais cela ne signifie pas qu’il quitte l’Europe”, a-t-elle réitéré.

Sur le plan international, la France et la Grande-Bretagne se partagent les mêmes d’inquiétudes et positions sur plusieurs questions d’intérêt commun comme la lutte contre le terrorisme, le Moyen-Orient…

Les deux pays représentent 50 pc des dépenses de défense de l’Union européenne. Ces deux puissances nucléaires d’Europe occidentale disposent de capacités de projection (avions ravitailleurs et cargos, porte-avions, navires amphibies).

Le Traité de Lancaster House, signé en 2010 par les deux pays, a mené à une interdépendance sur des sujets très sensibles, comme les missiles, et précisément la simulation des armes nucléaires. Ce traité a permis aussi la mise en place d’une capacité expéditionnaire conjointe.

Le 35è sommet franco-britannique a également été marqué par le lancement d’un programme d’échanges d’œuvres d’art, incluant notamment le prêt par la France de la Tapisserie de Bayeux, un joyau médiéval de l’histoire franco-anglaise, au Royaume-Uni.

Avec ce prêt, la tapisserie viendra pour “la première fois (…) en terre britannique, depuis plus de 900 ans”, s’est félicitée la Première ministre britannique Theresa May à l’issue du sommet avec le président français Emmanuel Macron.

“Je suis honorée par le prêt d’une pièce si précieuse de notre histoire commune qui souligne encore une fois la proximité de notre relation”, a dit Mme May, qui a en outre annoncé un “nouveau fond” pour les échanges scolaires.

“La tapisserie de Bayeux est unique, c’est une fierté pour la France. Par le génie créatif qu’elle illustre et l’histoire qu’elle relate. Elle n’a jamais quitté le sol français en mille ans et incarne lien qui nous unit”, a souligné de son côté Emmanuel Macron, relevant que le prêt marque “un nouveau chapitre” dans les relations culturelles et scientifiques entre les deux pays.

Le déplacement de l’œuvre de 70 mètres du musée de Bayeux en Angleterre est prévu en 2022. La tapisserie de Bayeux illustre la conquête de l’Angleterre par Guillaume, duc de Normandie en 1066. L’œuvre est une longue broderie sur toile de lin de près de 70 mètres sur 50 cm de large de la fin du XIe siècle.

Ce sera ainsi le premier grand déplacement de la tapisserie. Elle n’avait réalisé que de courts et rares voyages dans l’Hexagone, à Paris en 1803 sur ordre de Napoléon, et une nouvelle fois à Paris au Louvre, en 1945, après avoir été saisie par les nazis.

Selon l’avis de certains analystes, ce 35è sommet intervient dans une conjoncture marquée par les incertitudes liées au Brexit et le nouvel ordre mondial engendré par la politique de l’administration Trump.

Cette nouvelle donne incite Londres à concevoir une nouvelle ère post-Brexit dans le cadre d’une stratégie bien réfléchie du gouvernement britannique alors que s’ouvre la deuxième phase des négociations sur le Brexit.

En renforçant les liens bilatéraux avec les pays membres de l’UE, les Anglais pourraient affaiblir l’unité affichée jusqu’à présent par les Vingt-Sept, pour décrocher un accord commercial plus avantageux. Mais, rien ne garantit le succès d’une telle stratégie.