Structure de défaisance: 5 questions à Maître Nawal Ghaouti

Structure de défaisance: 5 questions à Maître Nawal Ghaouti

mercredi, 7 avril, 2021 à 15:20

Casablanca – Les créances en souffrance continuent toujours de peser sur les bilans des banques de la place au point de devenir la bête noire du secteur qui se trouve aux prises avec une hausse inquiétante du taux de sinistralité, dans le sillage de la pandémie.

Une telle situation n’échappe pas à Bank Al-Maghrib (BAM), régulateur du secteur, qui penche actuellement sur un projet de structure de défaisance relatif aux créances en souffrance, impliquant plusieurs parties prenantes.

Dans une interview à la MAP, Maître Nawal Ghaouti, avocat agréé près la Cour de Cassation et dirigeante du cabinet Ghaouti Nawal Lawfirm, décrypte les spécificités de ce dispositif expérimenté ailleurs, et les perspectives de son déploiement à l’échelle nationale.
1- Pouvez-vous nous expliquer le mécanisme de structure de défaisance ?

L’opération de “in-subtance defeasance» est une technique d’ingénierie financière qui permet à une entreprise donnée d’atteindre un résultat équivalant à l’extinction d’une dette figurant au passif de son bilan, par le transfert de titres à une entité juridique distincte qui sera chargée de la dette.

S’agissant du secteur financier, la défaisance intervient par la création d’une “bad bank” qui est une structure dans laquelle sont transférés les actifs douteux de l’établissement bancaire en difficulté, afin d’en assainir le bilan. Sa mission est de liquider au meilleur prix les actifs repris pour limiter les pertes pour l’actionnaire et la collectivité.

Les bad banks peuvent être logées au sein de la banque elle-même dans le cadre d’un traitement analytique avec une structure de management séparé, les pertes éventuelles sont alors supportées par les actionnaires, ou bien constituer des structures publiques ce qui signifie que toute perte sera finalement à la charge du contribuable. Le but est de continuer de refinancer les portefeuilles douteux en attendant l’échéance, un retour à meilleure fortune ou une cession.

C’est un mécanisme qui a été expérimenté aux Etats-Unis dès les années 1980, et a été mis en place par de nombreux pays européens suite à la crise de 2008 : l’Allemagne, la France, la Suisse, l’Espagne, le Danemark et l’Irlande l’ont notamment adopté avec des résultats mitigés selon les pays. Le modèle Suédois est un exemple de succès dans la résolution de la crise bancaire par ce mécanisme.

2- Pourquoi cette solution intéresse-t-elle le régulateur BAM en cette période de crise ?

Bank Al-Maghrib a envisagé la mise en place de la défaisance bien avant la crise covid-19 et dès 2019 selon ses déclarations. La pandémie a accéléré simplement cette nécessité d’apporter une réponse globale à la situation critique de la recrudescence des créances impayées du système bancaire dans sa globalité.

Le manque de liquidité sur le marché interbancaire et la dégradation de la solvabilité des institutions financières sont les deux problèmes majeurs qui, de manière générale, appellent une intervention de l’Etat dans la gestion d’une crise d’une telle ampleur.

Il s’agit de veiller à empêcher l’occurrence d’une crise systémique pouvant aggraver les difficultés de certains établissements bancaires fragilisés par la multiplication d’actifs douteux et illiquides, devenus toxiques, tout en leur permettant de poursuivre leur activité de distribution de crédit dans de meilleures conditions. Il s’agit également bien entendu de protéger l’épargne des déposants de ces établissements.
3- Eu égard au taux croissant de sinistralité au niveau du système bancaire, parle-t-on d’une solution miracle à ce problème ?

Il existe plusieurs moyens pour un État d’intervenir dans une crise touchant le secteur bancaire. Pour financer les pertes réalisées par des institutions financières et assurer la continuité de leur exploitation dans des conditions assainies, la formule de la défaisance n’est qu’une option parmi d’autres.

Le cantonnement n’est pas une solution miraculeuse, il constitue simplement un montage permettant plusieurs avantages non négligeables : étaler les éventuelles pertes dans le temps, sauvegarder les intérêts des déposants individuels, libérer du crédit pour assurer la relance.

Selon les leçons tirées des différentes expériences étrangères, il ressort que pour assurer son succès, la stratégie des sociétés de défaisance à créer doit être minutieusement préparée en amont de même que l’évaluation des actifs cédés doit se faire au plus près du prix du marché.

Un recul de plus d’une décennie, et de nombreuses études faites aux USA mais aussi un important rapport de la Cour des Comptes française par exemple donnent de précieuses indications sur les écueils à éviter afin de permettre un montage pertinent eu égard à la situation particulière de chaque pays.
4- Quels sont les prérequis pour initier la mise en place d’un tel dispositif, sachant que notre système bancaire est parmi les plus matures en Afrique ?

Il y a lieu de procéder à une réforme des dispositions notamment du Code des obligations et des contrats (DOC) qui ne permet pas dans son texte actuel d’encadrer directement les cessions de dette et peut être de créer un mécanisme spécifique dédié au cantonnement de type fiducie française ou trust américain.

Les questions fiscales liées aux provisions des créances douteuses à céder appellent également des ajustements préalables. Hormis ces réformes profondes d’ordre juridique ou comptable, un accord devra être trouvé avec chacun des établissements bancaires concernés qui souhaitent souscrire à ce projet, décider le montage de défaisance et son mode de financement (public ou privé) et définir le mode d’évaluation des créances en souffrance concernées.

5- Y a-t-il d’autres pistes à explorer pour atténuer la problématique des créances en souffrance ?

La particularité de la pandémie Covid-19 est d’avoir affecté l’ensemble des établissements financiers dans le même temps et avec la même violence quelle que soit leur taille ou la particularité de leur actionnariat même s’il s’avère, selon une toute récente analyse, que les banques cotées en bourse ont montré une certaine résilience.

Dès lors, les plans de sauvetage à envisager doivent s’adresser à l’ensemble des Banques et permettre de résoudre leurs difficultés de manière équilibrée, uniforme et concomitante.

Si l’on tire quelques leçons des précédentes crises financières y compris la dernière de 2008, il s’avère que les pays qui ont pu redresser la situation n’ont pas adopté une stratégie unique mais ont eu recours en général à un panier de mesures dont l’incitation fiscale.

La crise japonaise des années 90 nous a appris les limites des solutions privées dans ce type de contexte où la crise est systémique, ce qui induit à juste titre l’intervention du banquier central.

Au Royaume Uni en 2008, le gouvernement avait recapitalisé les banques par un plan de 50 milliards dont il avait nationalisé certains établissements en y prenant des participations. La France était intervenue quant à elle par le biais de la Société de Prise de Participations de l’Etat (SPPE) pour permettre aux banques de consolider leurs fonds propres sous forme de titres de dettes subordonnés à durée indéterminée.

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