Entretien avec Kamal Benkirane, écrivain aux multiples talents

Entretien avec Kamal Benkirane, écrivain aux multiples talents

lundi, 8 février, 2021 à 11:10

Propos recueillis par Khadija BENHADDOUCH

Montréal – Kamal Benkirane, écrivain, directeur de l’Association Culturelle Passerelle, et animateur de l’émission «Arts et Lettres» chez “ICI Télévision” au Québec, fait partie de ces auteurs aux multiples talents. Il est lauréat de plusieurs prix poétiques et littéraires en France.

Né à Casablanca en 1970, Kamal Benkirane s’est installé au Québec en 2001. Il a toujours été guidé par ses passions et affirme que sa démarche créatrice s’inscrit dans son intérêt pour la problématique de l’exil, de l’altérité et de la citoyenneté.

La MAP a rencontré cet écrivain maroco-canadien qui s’est prêté volontiers au jeu des questions-réponses.

1- Vous êtes poète, nouvelliste et romancier, pouvez-vous nous parler de vos sources d’inspiration et de la diversité de vos œuvres ?

Depuis tout jeune, j’ai toujours lu de la littérature francophone issue de plusieurs pays, dans une diversité des genres et dans les deux langues. D’abord, cela a commencé par de la poésie avec Baudelaire, Hugo, Aragon, Mahmoud Darwish, René Char, Pouchkine, etc., qui avaient marqué mon imaginaire. Puis, j’ai opté pour la langue française, car j’ai beaucoup lu dans cette langue. Je tentais d’adopter le même style de ces poètes en m’imprégnant de leur univers et en créant le mien.

Mes recueils de poésie relatent justement cette diversité classique et néo-classique, surtout dans (Les Ormes Diaphanes) et (Feuillets de L’aube).

Par contre, le recueil (Dans la Chair du Cri), qui est écrit en poésie libérée, se projette dans ce contexte de choc culturel ou plus exactement de rencontre culturelle, traversée par la nostalgie et la douleur de l’exil.

Puis après, influencé par Guy de Maupassant, Edgar Allan Poe, Günter Grass, Stephen Zweig, etc., j’ai tenté la nouvelle littéraire qui est généralement concise et qui permet surtout de dire peu pour suggérer beaucoup.

Mes nouvelles sont généralement marquées par le volet interculturel. Mon recueil de nouvelles (Les Souliers Mauves) se projette dans ce rapport viscéral à la diversité culturelle dans un contexte d’altérité. Ensuite, mon passage vers le roman s’est révélé finalement comme une nécessité, en étant que le roman englobe la poésie et la nouvelle, et qu’il me fallait surtout marquer mon rapport au monde à travers des personnages.

Il me fallait transformer mon admiration pour Zola, Dostoïveski, Chraïbi, Khadra, Eric-Emmanuel Schmitt, etc., en une sorte de transcendance scripturale qui dévoilerait un monde encore inconnu pour moi. Il me fallait donc tenter l’expérience d’une œuvre fictionnelle qui institue les possibilités d’un monde en devenir, constituant non seulement un idéal, mais une introspection des sentiments, de leur complexité, de transcrire aussi le ressenti et de l’adopter aux faits divers de la réalité. Mon roman (J’ai tué l’hiver) explore justement les possibilités d’une altérité commune, malgré les difficultés d’intégration dans le monde occidental. Finalement, je persiste à croire qu’il faut tout lire en considérant que la finalité n’est pas de faire un choix du genre littéraire, mais de réussir plutôt à créer son propre monde, et de ciseler son œuvre.

2- Présent sur la scène culturelle québécoise depuis plusieurs années, à votre avis, quel rôle jouent la culture et l’information ainsi que les réseaux sociaux dans l’intégration de la communauté marocaine au Canada ?

La culture est le porte-parole de l’identité d’un peuple, elle joue un rôle essentiel pour la promotion des patrimoines du monde, permettant ainsi de créer et de partager des valeurs. Milan Kundera disait : « La culture, c’est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre », donc, on a aussi la possibilité d’imaginer la culture comme une référence aux racines d’un arbre. C’est aussi un antidote contre le dépérissement et contre la violence. Je pense aussi que l’information et les réseaux sociaux ont modulé les comportements ces dernières années, et pour preuve le foisonnement de projets culturels que la promotion par le numérique a favorisé.

Pour ce qui est de la communauté marocaine, la culture joue un rôle assez important pour le rayonnement de cette communauté au Canada, en considérant surtout certaines initiatives émanant d’associations marocaines et en considérant aussi le rôle du centre culturel marocain à Montréal. Les médias sociaux aussi permettent la promotion des événements et l’accessibilité de la culture à tous et à toutes.

Toutefois, la culture, dans son acception large, et en se référant à la citation ci-haut de Kundera n’est pas réellement le souci majeur des décideurs. Il est nécessaire d’aborder cette question à travers le volet de l’ingénierie culturelle comme outil de développement stratégique permettant de tirer profit à bon escient des potentialités. Ce volet mérite d’être pris au sérieux pour mieux favoriser l’intégration de la communauté. La culture devrait d’abord être interpellée dans toutes ses dimensions génératrices de créativité : littérature, théâtre, cinéma, arts visuels, sculpture, photographie, etc.

3- Vous êtes aussi connu pour votre engagement pour la promotion de l’interculturalité et la gestion de la diversité au Québec. Dans quelle mesure ces actions contribuent-elles à mieux préparer la communauté à s’intégrer tout en préservant leur identité surtout en ce qui concerne les nouvelles générations ?

L’interculturalité permet à la communauté de s’ouvrir à d’autres communautés par le biais de projets potentiels qui mettent de l’avant l’altérité. Ces actions peuvent sciemment préparer la communauté à s’intégrer tout en préservant son identité en prenant en compte différentes cultures qui apprennent donc les unes des autres.

Cette rencontre de l’autre amène à s’interroger sur nos différences et nos ressemblances, à faire disparaître les stéréotypes, les idées reçues que l’on peut avoir, etc. Ainsi, des projets interculturels, et surtout basés sur une vision innovante de la médiation culturelle permettraient à la communauté de s’intégrer tout en préservant son identité.

Bref, «bâtir des ponts» devient une nécessité, et œuvrer sur cela pour les générations futures devient une urgence, cela tout en entreprenant des projets qui peuvent préparer la communauté à s’intégrer à travers la littérature, les sports, la musique, la cuisine, etc. Il est nécessaire d’inculquer la notion de l’émission des passerelles comme un critère inhérent à la construction de l’humain, et surtout à la mise en valeur de l’art et de l’esthétique dans le processus de l’intégration. Il est nécessaire de prendre conscience du rôle de la culture dans l’épanouissement personnel ainsi que celui de la communauté et aussi des nouvelles générations.

4- L’organisme « E-Passerelle », dont vous êtes le fondateur, a pour but d’organiser des rencontres et débats culturels et littéraires, mais aussi de promouvoir les littératures francophones au Québec et l’édition électronique. À cet égard, qu’est-ce que vous pouvez dire sur la culture québécoise ?

Justement, l’Association Culturelle Passerelle (E-Passerelle) a pour mandat d’œuvrer pour l’interculturalité et pour la promotion de la littérature francophone au sein de la francophonie québécoise. Elle se trouve ainsi au confluent d’une littérature québécoise contemporaine avec sa tradition nationale qui tend vers une confluence post-nationaliste ou « post-québécoise », revendiquant des sensibilités nouvelles à travers des écrits relatant une expérience québécoise, dans un cadre d’hybridité culturelle.

Il est à mentionner cependant que la culture québécoise se retrouve devant des enjeux non négligeables en ce qui a trait à l’insertion des artistes et des auteurs issus des communautés culturelles dans le microcosme culturel québécois. Ainsi, nous nous retrouvons devant des maisons d’édition réticentes à publier des auteurs néo-québécois, des représentations très réduites dans les médias, des Prix culturels non accessibles, etc.

L’enjeu majeur est d’abord de se projeter vers une décolonisation des imaginaires et une reconnaissance substantielle de ces potentialités venues d’ailleurs. Il est à mentionner que le Conseil des arts de Montréal ainsi que le Conseil des arts et des lettres du Québec fournissent des efforts admirables pour ce qui est de l’insertion de ces artistes dans le champ culturel québécois, mais le chemin est encore long.

Aussi, il est remarqué que l’interculturel suscite de moins en moins de l’intérêt de la part des Québécois, cela est dû éventuellement à l’échec des politiques relatives à la gestion du modèle interculturel québécois, et éventuellement aussi au rejet du multiculturalisme par une belle frange de la population canadienne.

Or, l’avancement du dossier des artistes multiethniques au Québec est indéfiniment influencé par ce rejet, encore que ce dossier s’imbrique justement sur celui de l’interculturel et la réticence qu’on y manifeste. Bref, une reconnaissance de balises solides, ancrées dans une base interculturelle, devrait générer des équilibres de pouvoir, surtout en ce qui a trait à la gestion du volet ethnoculturel. Tel est l’enjeu futur à explorer pour converger vers une inclusion effective et définitive.

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