Enseignement de l’arabe en Belgique: Controverse sur fond de conflit politique et identitaire

Enseignement de l’arabe en Belgique: Controverse sur fond de conflit politique et identitaire

lundi, 12 mars, 2018 à 11:51

-Par Samir Hilal

Bruxelles –  En Lançant un appel à promouvoir l’enseignement de la langue arabe en Belgique, le ministre du Budget et de la fonction publique de la Fédération Wallonie-Bruxelles et figure emblématique du Parti socialiste francophone (PS), André Flahaut pensait bien faire. Son idée était d’encourager l’apprentissage d’une langue qui participe de la diversité de la société belge. Mais il s’est vu envahi par une vague de critiques de part et d’autres.

Les adversaires politiques du ministre ont été les premiers à réagir à cette initiative, notamment au sein du Mouvement réformateur (parti qui dirige le gouvernement), la qualifiant de proposition “populiste qui cache des ambitions électorales”, au moment où le pays s’apprête à organiser les élections communales en 2018 et fédérales en 2019.

L’appel à promouvoir l’enseignement de cette langue dans un pays qui compte une importante communauté arabe et musulmane a été considéré par les adversaires de Flahaut comme un moyen de séduire les électeurs. Son timing a été jugé inopportun.

Ils ont également estimé que cette proposition constitue une tentative du parti socialiste visant à redorer son blason après les scandales liés aux rémunérations de certains de ses mandataires publics et qui ont entaché son image ces derniers temps.

Loin des considérations politiques, les opposants du ministre au sein du corps enseignant ont pointé du doigt les difficultés dont pâtit le système éducatif en Belgique en matière d’enseignement des langues principales comme le français, le flamand et l’allemand, notamment dans la région francophone, estimant que l’enseignement de la langue arabe même optionnel, constituera une charge supplémentaire aussi bien pour les professeurs que pour les élèves.

Sur les réseaux sociaux, les avis des parents sur la proposition du ministre André Flahaut divergent. A l’exception de quelques posts qui ont accueilli favorablement l’idée en tant que moyen de s’ouvrir sur la culture arabe et islamique et d’effacer les stéréotypes ancrés dans les esprits des Européens, la majorité des réactions ont fortement critiqué l’idée d’enseigner l’arabe dans les écoles belges.

Les opposants à cette proposition évoquent le besoin des enfants belges à apprendre des langues qui leur permettraient d’exceller dans leur cursus scolaire et de s’insérer facilement dans le marché du travail comme l’anglais, considérant que l’arabe est une langue étrangère qui s’ajoute aux dizaines de langues parlées par des minorités en Belgique et que son introduction dans le système éducatif ouvrirait la porte aux revendications d’autres communautés.

Commentant cette question dans une déclaration à la MAP, le professeur de langue et de littérature arabes à l’Université Libre de Bruxelles, Xavier Luffin, se dit “plus que favorable à l’introduction de l’arabe dans l’enseignement secondaire belge”, évoquant comme unique raison “non pas la présence d’une importante communauté d’origine marocaine en Belgique, mais tout simplement le fait que l’arabe est une langue internationale, utilisée dans plus de 20 Etats ainsi que dans de nombreuses instances internationales, ayant un nombre élevé de locuteurs dans le monde entier”.

Le Professeur Luffin, auteur de plusieurs ouvrages et de traductions, voit aussi en l’enseignement de l’arabe, un moyen de dissiper les craintes quant à l’exploitation de cette langue dans la diffusion d’un discours qui va à l’encontre des valeurs communes que la société belge aspire à consacrer.

Selon ce professeur universitaire, l’enseignement de la langue arabe dans les établissements scolaires belges “pourrait avoir un effet positif en dissociant langue et religion: l’arabe serait enseigné comme toute autre langue, sans référence à la religion et les parents désireux que leurs enfants apprennent l’arabe ne seraient pas forcés de passer par une école coranique, puisqu’une alternative leur serait proposée”.

Pour sa part, le poète et écrivain marocain établi en Belgique, Taha Adnan, met l’accent sur les dimensions démographique et pragmatique de l’enseignement de l’arabe en Belgique qui pourrait s’ériger, selon lui, comme un moyen pour rétablir l’image écornée des Arabes après les attentats perpétrés ces dernières années dans plusieurs villes européennes.

L’arabe est une “langue vivante qui a sa place dans le milieu linguistique belge puisqu’elle est classée quatrième sur l’ensemble des langues parlées dans la capitale Bruxelles”, souligne Taha Adnan, notant que “l’attachement à l’arabe n’est pas uniquement un choix, mais un acte de résistance à une époque où cette langue souffre de l’impact des perceptions négatives nourries par les mentalités radicales”.

Pour l’écrivain marocain, “c’est à travers l’enseignement que nous pouvons contribuer à redorer l’image de la langue arabe dans la société belge pour qu’elle ne soit plus associée à la pensée takfiriste et au terrorisme mais plutôt à la science, à l’art, à la beauté et à la vie”.

Cependant, M. Adnan estime qu’en dépit de sa présence dans le tissus social est culturel belge en général et bruxellois en particulier, la langue arabe demeure sous-estimée.

“Malgré l’intérêt grandissant pour l’apprentissage de l’arabe, aussi bien de la part des citoyens arabes que belges, on continue toujours à la marginaliser et à lier son enseignement à l’éducation parallèle dans le cadre des mosquées, des associations et des écoles coraniques ou dans de rares établissements publics de façon facultative”, déplore-t-il.

Entre les considérations politiques et la vision pragmatique de la langue dans la société, les critiques acerbes dont le ministre Flahaut a été la cible démontrent que l’arabe est désormais perçu comme une une sorte de “colonisation culturelle”, une réalité que les politiciens, notamment de droite, occultent.

Ce discours a trouvé dans la montée en puissance de la droite en Europe un terreau fertile pour se développer, et le traitement de la question migratoire n’en est qu’une preuve supplémentaire. 

Le débat unilatéral sur l’enseignement de la langue arabe dans les écoles belges nécessite beaucoup de sagesse pour arriver à une position de juste milieu, insiste Taha Adnan, relevant qu’une large frange des citoyens belges d’origine arabe et musulmane (notamment les descendants de la première et la deuxième génération d’immigrés) a le droit de sauvegarder son héritage culturel et d’apprendre à leurs enfants et aux générations montantes leur langue maternelle pour renforcer leur appartenance à la société belge.

“Comment convaincre un Belge d’origine arabe qu’il appartient à un pays où il se sent déraciné et dépouillé de son passé et de sa paix intérieure, surtout en sachant la relation étroite qui existe entre la langue arabe et l’Islam?”, s’interroge-t-il.

A ce propos, Taha Adnan souligne que “l’apprentissage de la langue arabe vient répondre aux besoins identitaires et culturels profonds au sein de la société belge plurilingue”, exhortant les experts à traiter cette question avec sérieux et sens civique, à travers des approches pédagogiques et des curricula éducatifs innovants qui tiennent compte de la spécificité de l’élève et de l’espace d’apprentissage occidental en général et belge en particulier”.

“C’est un risque d’investir dans l’ignorance au lieu d’investir dans l’enseignement de la langue et la préservation de l’identité et de la mémoire”, prévient-il.

“Certes, cela peut être coûteux pour les secteurs gouvernementaux concernés, mais demeure essentiel”, insiste l’écrivain marocain qui met en garde contre “un coût plus important à long terme en cas de retrait total de l’enseignement public ce qui ouvrirait la voie à des personnes non qualifiées pour exploiter l’enseignement de l’arabe afin de servir de sombres desseins”.

L’interdiction de l’enseignement de l’arabe dans les écoles belges peut conduire les parents à chercher des alternatives risquées, étant donné les problèmes structurels dont souffre l’enseignement de la langue arabe en Belgique, lequel est géré par des associations qui manquent d’outils matériels et pédagogiques et d’enseignants compétents.

Ces associations, poursuit-il, relèvent souvent de mosquées où l’enseignement de la langue s’entremêle avec la diffusion de préceptes et d’idées qui vont à l’encontre des valeurs de la société belge.

“N’est-il donc pas plus judicieux de réfléchir à un compromis axé sur la dimension identitaire de la langue loin de toutes les considérations politiques et de la perception pragmatique étroite?”, s’interroge Taha Adnan.

Et de conclure : “Nous devons aujourd’hui évaluer ce que nous avons accompli ces dernières années durant lesquelles nous avons expérimenté toutes les formes et les voies non-formelles d’enseignement de l’arabe pour s’arrêter enfin sur leur inefficacité. La fuite en avant ou l’exploitation politique de cette question ne peuvent déboucher que sur des controverses et des polémiques infructueuses qui entraveront le traitement de ce sujet avec sérieux et efficacité”.

 

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